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associations formées pour développer l’individu, elles le suppriment ; il n’en profite pas, il s’y absorbe… Le pacte formé dans de pareilles conditions, emportant, ouvertement ou par stipulations secrètes, la renonciation aux droits individuels de l’un d’eux, soumettant la personne pour le tout ou la partie à une tierce volonté, est donc illicite. » En conséquence, l’article 3 du projet était ainsi conçu : « Toute convention ayant pour but ou pour résultat, soit au moyen de vœux, soit par un engagement quelconque, d’emporter renonciation totale ou partielle au libre exercice des droits attachés à la personne, est illicite comme contraire à l’ordre public. » Et certes, ce n’est pas là une thèse nouvelle ; mais, si elle a été souvent développée à la tribune ou dans la presse, nous ne croyons pas qu’elle ait jamais été insérée dans un texte de loi sous forme de déclaration de principe, comme le faisait le projet de 1882. Si, pour les appeler par leurs noms, les vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté sont contraires à l’ordre public, il n’y a plus de distinction à faire entre les congrégations ; on ne peut plus en autoriser aucune. Le jour où de pareils principes seraient établis par voie législative, les radicaux ne seraient pas embarrassés pour en tirer les conséquences pratiques, et il faudrait supprimer d’un seul coup toutes nos congrégations charitables et nos missions à l’étranger. Est-ce là ce qu’on veut ? Peut-être faut-il dire oui pour M. Millerand ; mais nous doutons que M. Waldeck-Rousseau pousse aussi loin la logique, et certainement plusieurs de ses collègues lui fausseraient compagnie s’il le faisait. Dès 1883, étant redevenu ministre, il présentait, sur les associations, un nouveau projet qui atténuait le premier, moins pourtant dans le fond que dans la forme, et qui, plus habile, n’en restait pas moins menaçant. Qui ne sent combien il est dangereux de tenir un certain langage, si l’on ne se propose pas ensuite d’y conformer strictement sa conduite ? On déchaîne, par-là, un mouvement dont on n’est bientôt plus le maître, et, quelles qu’aient été les intentions premières avec lesquelles l’imprudence a été commise, les résultats ne tardent pas ensuite à se dérouler. Qu’il y ait des précautions à prendre contre les congrégations, soit ; mais les condamner dans leur essence même et dans les vœux qui les constituent n’est pas un acte digne d’un gouvernement libéral. Il est vrai que le nôtre ne se targue peut-être pas de l’être, et il n’est pas douteux qu’un des projets qu’il prépare portera, pour la restreindre, sur la liberté de l’enseignement : peut-être même serait-il choisi par les radicaux et les socialistes pour devenir l’objet de leur principal effort.