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d’autres que l’ouvrage ferait sensation. Deux seuls m’ont dit qu’ils croyaient M. Decazes coupable et qu’il avait sacrifié le roi lui-même au désir de conserver sa place.

« Le rapport m’a satisfait. J’ai vu dans les trois premières classes des gens qui n’osaient pas obéir au cri de leur conscience et dans les deux qu’on cite les derniers des gens qu’une haine aveugle entraîne à dire une absurdité. Le rapport m’avait été fait quand j’ai lu M. d’Argoult et j’étais déjà de l’avis qu’il émet à la fin de son ouvrage. Quant à revenir vous-même, j’espère que cette idée n’a fait que vous passer un instant par la tête. Ce serait à mon sens une très grande faute. Puisse le rapport que je viens de vous transcrire et l’ouvrage de M. d’Argoult panser la plaie de votre cœur ! Ils ont adouci la mienne. »

Il apparaîtra au lecteur que toute la lettre est écrite pour les phrases qui la terminent. En demandant à Decazes un sacrifice, le roi s’efforçait de le lui rendre léger. Sollicité en de tels termes, Decazes consentit à s’immoler une fois de plus à la volonté si clairement exprimée de son souverain. L’idée d’un voyage immédiat à Paris fut abandonnée. Du reste, sa présence à Londres n’avait jamais été plus nécessaire, non pas seulement à cause des pourparlers engagés sur les affaires d’Espagne et sur celles de Naples, mais encore parce qu’on s’attendait à la chute du ministère anglais et à son remplacement par les libéraux, éventualité dont le gouvernement français était d’autant plus en droit de s’inquiéter que ce parti donnait à entendre qu’en arrivant au pouvoir, il mettrait fin à la captivité de Bonaparte. Tierney ne le dissimulait pas à Decazes.

— Dans quelque temps, lui disait-il, la délivrance du captif s’imposera et il faudra bien finir par lui rendre sa liberté. Vous êtes assez forts en France, maintenant, pour que cette mesure ne présente aucun péril.

Decazes protestait, se refusait à accepter cette éventualité, et répondait que Bonaparte devenu libre ne tarderait pas à mettre l’Europe en fou. En réalité, il ne prenait pas au sérieux ces prédictions menaçantes : « Je suis bien assuré, mandait-il au roi, que le langage que m’a tenu M. Tierney est celui d’un homme d’opposition, et non de quelqu’un de persuadé de la vérité de ce qu’il dit. » Mais, trois jours plus tard, le duc de Wellington, auquel il faisait part des propos de Tierney, les prenait au pied de la lettre et s’écriait :