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En rentrant, il lui arriva de déplier, avant même de retirer ses gants et son chapeau, le journal déposé sur la table du salon. Elle montrait toujours cette hâte le jour où paraissait l’article de Jean Salvy. Cette année-là, pour une raison connue de lui seul, l’auteur des Hymnes aryennes et de Bahvani écrit assez régulièrement chaque semaine un article de critique ou de variété littéraires dans un grand journal quotidien. Les échos puérils de la vie parisienne lui inspiraient des pages ravissantes, qui, sans rien ajouter à une réputation dès longtemps acquise, ne le faisaient pas cependant déroger. Il transfigurait son sujet pour ainsi dire ; l’insignifiance ou la banalité s’effaçait sous les broderies, il enrichissait de variations imprévues le thème le plus vulgaire. Quelquefois ce n’était que de la poudre jetée aux yeux du lecteur, mais la poudre était de diamant, assez éblouissante pour cacher le vide du fond ; des mots, des mots, mais des mots trouvés et sertis par un merveilleux orfèvre en langue française.

Marcelle dévorait avidement ces morceaux savoureux, quel qu’en fût le prétexte. Elle les appréciait pour eux-mêmes et surtout pour ce qu’ils lui rappelaient d’heures enchantées qu’elle avait passées avec l’auteur en ses meilleurs momens, à lire et relire, par exemple, les chants grandioses où se reflète l’âge d’or védique, la civilisation pastorale de nos premiers ancêtres, ou ces sonnets d’allure impétueuse et hautaine qui semblent ne pouvoir s’adresser qu’à une patricienne de la Renaissance. Rien de ce qu’avait écrit Salvy ne lui était étranger, ni le roman bizarre de Bahvani où défilent avec leurs gestes hiératiques des figures très peu vivantes et pour cause, taillées apparemment dans le jade et le santal, ni le drame injouable de Julien l’Apostat qui met en relief avec une subtilité empruntée, on le croirait, au héros même du drame, la figure, à jamais énigmatique et par cela même si passionnément intéressante, de celui qui, le dernier, défendit contre le Christ la civilisation païenne et le génie de Rome antique.

Dans son empressement à la développer et son désir de la distraire, Lise Gérard avait peut-être apporté à son amie quelques livres de trop sous le grand manteau gris et il en était résulté chez Marcelle un enthousiasme excessif pour l’un des écrivains les plus sceptiques de ce temps-ci.

Qu’on juge de son émotion quand elle vit, en tête d’une colonne signée par lui : Confession de jeune fille, et au-dessous, en