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dans des spéculations ; sa femme et sa fille sont réduites à une existence très modeste, très retirée. La pauvre enfant n’a d’autres distractions que celles qu’elle trouve ici et je profite, j’abuse de cette pénurie. Elle me complète si bien !

Des chevaux s’arrêtèrent à la porte et Mme Helmann fut annoncée. Elle entra avec un bruissement de soie, un cliquetis de bijoux, une violente bouffée de parfum. Après avoir embrassé Marcelle et poussé le nombre d’exclamations obligatoires à la vue du revenant, comme elle appelait Robert, elle s’affaissa dans une bergère d’un air accablé :

— Chère mignonne, il m’arrive l’aventure la plus désagréable !… Je viens vous en parler tout de suite, car il importe que vous vous teniez sur vos gardes. N’êtes-vous pas en correspondance intime avec cette misérable Catherine Morgan ?

— Point du tout, répondit Marcelle. Nous avons, Kate et moi, échangé deux ou trois lettres tout au plus depuis notre rencontre en Italie, mais qu’a pu faire cette pauvre fille pour que vous la traitiez de misérable, vous qui haïssez les gros mots ? Qu’y a-t-il ?

— Il y a que c’est tout simplement une ingrate, une rouée indigne, une fille perdue ! Recommandez donc les gens ! Moi qui avais si bien répondu d’elle ! Sans quoi la comtesse Chestoff ne l’eût jamais emmenée. Toute la responsabilité pèse sur moi, hélas ! Voilà une famille ruinée par ma faute !

La placide Mme Helmann paraissait tout de bon hors d’elle-même.

— Les Chestoff ruinés ?

— Frustrés tout au moins d’un héritage important que détourne d’eux cette créature.

— En vérité ! J’aurais cru tout au plus que la jolie Kate avait pu couler ses yeux bleus de façon un peu trop engageante vers le jeune comte.

— Elle l’a fait, n’en doutez pas ; elle a été, de ce côté, aussi loin que possible, et la mère se promettait déjà de la mettre prudemment à la porte quand elle est partie d’elle-même, mais non pas seule…

— Je devinais donc juste, elle a jeté le grappin sur ce petit Basile insignifiant et blond…

— Du tout ! Vous n’y êtes pas. Son but, en lui faisant perdre la tête, était tout simplement d’exciter la convoitise d’un autre. Et cet autre était un parent de la comtesse, un vieil oncle fort