avoir du reste ce travail à ses yeux, il s’irritait contre la consolation certaine, que savait y trouver cette personne d’une humeur toujours égale. Surtout il ne pardonnait pas à sa femme la fière indépendance que lui permettait ce gain matériel, dont lui-même eût été incapable, car il arrive qu’on envie secrètement ce que par orgueil on dédaigne. La vengeance de Salvy consistait à nier en chaque occasion que Tchelovek possédât les vraies qualités féminines, tout en faisant sentir suffisamment à Marcelle qu’elle ne possédait pas non plus celles du romancier, à moins que le romancier ne soit rien qu’un conteur agréable de petites histoires ou un éditeur suranné de la morale en action.
Nul ne s’entendait comme Salvy à piquer les gens au vif par la raillerie ou à les écraser par le dédain. Robert, faute d’un meilleur emploi de son dévouement, s’était fait l’esclave de la petite Rosette. Fort gâtée comme le sont les enfans souffreteux, elle grimpait sur ses genoux, le caressait et le tourmentait, ce qu’elle n’eût pas osé avec son père, toujours prompt à demander qu’on l’emportât. Salvy en fit la remarque moqueuse :
— J’ai souvent observé qu’il y a d’étroites affinités entre le soldat et l’enfant. C’est peut-être que votre métier vous laisse jusqu’au bout, sous de certains rapports, quelque peu enfans vous-mêmes.
— Ceci équivaut à dire, n’est-ce pas, répliqua Robert d’un ton de bonne humeur, que nous sommes des êtres élémentaires, à peine dégrossis ?
— Non, mais très certainement moins compliqués que nous autres. Voyez, l’enfant joue volontiers avec les hochets à votre usage, un sabre, un fusil, un panache, tandis qu’un livre ou une plume ne l’attirent pas du tout ; il sent, dès qu’on les lui présente, que cela va devenir sérieux.
— Je compte bien, répliqua Robert sur le même ton, qu’avec son vieil oncle d’Afrique, votre fille apprendra une bonne fois et pour toute sa vie à aimer l’uniforme, au détriment des scribes et des rhéteurs…
— Oh ! je vous la laisse sans discussion, tant qu’elle sera simple marmaille. Nous autres, gens d’étude, nous ne faisons pas nos délices de ce petit monde-là. Et vous voyez que, de son côté, elle le sent, puisqu’elle abandonne volontiers sa mère et moi pour vous ou pour son amie Nicole, qui sait perdre du temps à l’amuser.
