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Castillo, le facteur le plus important de la politique espagnole. Quand le parti libéral avait été assez longtemps au pouvoir, il y était remplacé par le parti conservateur, c’est-à-dire par M. Canovas ; et quand le parti conservateur y était à son tour resté suffisamment, il y était remplacé par le parti libéral, c’est-à-dire par M. Sagasta. Ces deux hommes, éminens l’un et l’autre, avec des qualités très différentes, ont personnifié toute une période historique. M. Canovas était supérieur par le caractère ; M. Sagasta était plus délié. Mais tous les deux avaient épuisé leur système lorsqu’ils sont morts, et ils ont laissé leurs partis dans un état qui ressemble un peu à la décomposition.

Cela est vrai surtout du parti libéral aujourd’hui. Après la mort tragique de M. Canovas, M. Silvela était assez naturellement indiqué pour lui succéder : on ne saurait dire la même chose d’un quelconque des lieutenans de M. Sagasta. Il y en a plusieurs de très distingués, comme M. Moret, sans qu’aucun ait un ascendant qui s’impose aux autres. On parle d’un directoire qu’on mettrait, au moins provisoirement, à la tête du parti, ce qui est un fâcheux expédient. Au reste, l’autorité de M. Sagasta lui-même avait cessé d’être reconnue par tous les libéraux, de même que celle de M. Silvela ne l’est plus par tous les conservateurs. Le schisme est partout, et c’est en cela que le temps actuel ne ressemble plus à celui où MM. Canovas et Sagasta étaient les chefs incontestés de tout leur parti. Mais ce temps est déjà lointain. M. Sagasta avait donné sa démission il y a quelques semaines, parce qu’il sentait l’impossibilité gouvernementale de vivre. Tout était usé autour de lui et en lui-même. Sans prévoir sa mort imminente, tout le monde a eu alors le sentiment que sa carrière était finie. Au surplus, il était le doyen des hommes politiques de l’Europe, et les longs services qu’il a rendus, parfois au milieu de catastrophes dont il n’était pas responsable, comme la perte des Antilles et des Philippines, lui vaudront une place très honorable dans l’histoire de son pays.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.