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VERS BÉNARÈS

PREMIÈRE PARTIE


I. — CHEZ LES THÉOSOPHES DE MADRAS

« Un ciel sans Dieu personnel, une immortalité sans âme précise, une purification sans prière… »

La formule énoncée, comme conclusion suprême, continuait de résonner pour moi lugubrement au milieu du silence, après l’entretien tombé. La tristesse du crépuscule imprégnait la demeure, qui était solitaire, dans la campagne, au bord d’un fleuve, parmi des palmiers et de grandes fleurs étranges. Sur les vitraux, éclairant encore la froide bibliothèque où nous étions, peu à peu s’éteignaient des petites images transparentes qui représentaient, en parcelles de verre coloré, tous les emblèmes de la foi humaine réunis là comme en un musée mortuaire : la croix du Christ, le sceau de Salomon, le triangle de Jehovah, le lotus de Çakya-Mouni, la fourche de Vichnou, les symboles d’Isis. C’était la maison de ces théosophes de Madras, sur lesquels on m’avait conté de si merveilleuses choses ; bien que n’y croyant guère, j’étais venu quand même, en dernier ressort, leur quêter un peu d’espérance, et voici ce qu’ils m’offraient : la méthode glacée d’un bouddhisme déjà connu, la lueur seule de ma propre raison !… — La prière ? — m’avaient-ils dit. — Et qui donc l’entendrait ?… L’homme est seul en face de sa responsabilité. Rappelez à votre mémoire les lois de Manou : L’homme naît seul, vit seul, meurt seul ; la justice seule le suit… Qui donc l’entendrait, la prière ? Qui prieriez-vous, puisque vous êtes Dieu ? Il faut vous prier vous-même, par vos œuvres.