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caftans, les peaux de moutons tentaient les amateurs qui, se poussant, marchant les uns sur les autres, essayaient, comme s’ils eussent été chez eux, les bonnets, les chemises, les bottes surtout ! Il y avait des régimens de bottes neuves et de vieilles, et les paysans, assis par terre, les passaient sans vergogne à leurs pieds nus. La circulation des voitures étant empêchée par cette incroyable cohue, nous avions dû la traverser à pied et je crus être étouffée avant d’arriver au bout. C’est le diminutif modeste des grandes foires où se vendent encore beaucoup les produits de villages. A Nijni-Novgorod, par exemple, dans la galerie des chaussures de feutre, il se fait pendant le mois que dure la foire un million d’affaires, le million n’étant pas, cela va sans dire, pour le producteur. Mais à Moscou même le règne des bazars a déjà baissé. Les magasins proprement dits se multiplient en même temps que l’emporte comme partout le règne du commerce de gros. Les Rangées, ces fastueux passages couverts à trois étages, qui bornent d’un côté la place Rouge et tranchent par leur architecture toute moderne sur les fantastiques splendeurs de Saint-Basile et la bizarrerie barbare des murailles du Kremlin, montrent assez comment entend être logé le commerce de l’avenir. Le paysan n’entrera point dans ces palais. Force lui est bien de travailler à prix fixe pour le commis voyageur. Trop heureux, quand pour mieux rançonner sa victime, celui-ci ne se met pas en grève. L’usurier aide aussi de son mieux à ruiner le paysan. L’unique moyen de défense du pauvre producteur est l’artèle. Grâce à ces associations on a pu, dans les villages, établir à frais communs des fours pour la cuisson de la poterie, des locaux pour le foulage du feutre, des ateliers collectifs où se poursuit telle ou telle branche d’industrie au grand avantage de la santé publique. Le tissage lui-même n’est pas sans inconvénient par les parcelles de laine qu’il dégage dans la chambre étroite et close d’une isba. Qu’est-ce donc quand il s’agit de fumée de charbon, par exemple ? Malsain partout, le travail en chambre peut devenir presque meurtrier en Russie où l’air se renouvelle à peine, des mois de suite. Les fours collectifs ont rendu plus de services que tout le reste et, quant à l’atelier, les artèles le chauffent et le nettoient, tous les frais d’entretien étant communs. Par ces moyens, les petites entreprises, exigeant peu de capitaux, peuvent encore se maintenir, mais dès que les frais de production s’élèvent, les paysans sont obligés pour l’achat des