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dans son aveuglement, il allait jusqu’à écrire le lendemain même du jour où le prince Eugène, après avoir complété l’investissement, ouvrait la tranchée : « Pour moy, je raisonne peut-estre mal, mais je ne voudrois pas encore assurer que les ennemis fassent le siège de Lille. » Ses lettres à Chamillart sont du même ton. « Ce qu’il y a, ce me semble, à conclure de tout cela, lui écrivait-il, c’est qu’il ne faut point nous presser. » Et dans une autre lettre : « Pour moy, j’avoue que la ténacité des ennemis me passe. Je croys estre aussi entreprenant qu’un autre, mais je permettrois qu’on me traitât de fol si j’avois formé un pareil dessein. » Aussi Chamillart lui répondait-il sur un ton un peu ironique : « Permettez-moi, Monseigneur de vous dire que, quelque confiance que j’aye en vos prédictions, j’y ajouteray beaucoup plus de foy lorsque vous serez à portée de secourir Lille[1]. »

Le Duc de Bourgogne paraît avoir eu un sentiment plus juste de la situation. C’est lui qui presse Vendôme de prendre un parti et de sortir de son inaction. Il répond au Roi : « M. De Vendosme voudroit voir le canon des ennemys tirer avant que de s’ébranler d’icy. Pour moy, je craindrois que ce ne fust s’y prendre un peu tard et je presseray nos dispositions sur l’ordre de Vostre Majesté, aussitost qu’il me sera possible. » Ce qui lui manque depuis le commencement de la campagne, c’est l’ardeur, et ce qu’il n’a jamais retrouvé depuis Oudenarde, c’est la confiance. Il semble qu’il soit surtout préoccupé des difficultés de l’entreprise, qu’il ne marche que par devoir et que les difficultés l’effrayent. Après avoir annoncé au Roi son intention de faire décamper son armée le 25 août, c’est-à-dire deux jours après le délai extrême fixé par le Roi, il continue : « Nous serons le 30 à Tournay et de là à portée de voir ce qui se pourra entreprendre pour sauver Lille, ce que nous tenterons, à moins d’y trouver une impossibilité morale… Nous ne perdrons pas un moment pour nous mettre à portée de connaître si Lille est secourable ou non, et comment il faut s’y prendre. Il est certain qu’on ne sauroit se conduire avec trop de prudence et de précautions dans cette affaire, et qu’on ne le peut faire qu’en voyant toutes choses de près et reconnoissant ce qui sera possible. » Et à Chamillart, il écrit le même jour : « Il faut prier Dieu que

  1. Dépôt de la Guerre, 2 082. Vendôme au Roi et à Chamillart, 17 et 18 août 1708 : Chamillart à Vendôme, 19 août ; Vendôme à Chamillart, 21 août.