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Cambridge, lance le mot de Greater Britain, la Plus Grande Bretagne, qu’il donne pour titre au livre où il relate les impressions, pittoresques et politiques, d’un voyage à travers les colonies anglaises. À cette formule frappante et qui, depuis, a tant fait tourner les têtes, vient s’en joindre une autre, Imperium et Libertas, la devise que Disraeli donne à la politique anglaise. En 1872, l’illustre homme d’Etat qui, vingt ans plus tôt, a traité les colonies de « pierre au cou de la métropole » trace toutes les lignes essentielles du programme des impérialistes les plus ardens d’aujourd’hui, en des termes si nets et si explicites qu’ils n’ont jamais été dépassés par M. Chamberlain lui-même : « La concession du self government aux colonies, déclare Disraeli, aurait dû faire partie d’une politique générale de consolidation impériale. Elle aurait dû être accompagnée d’un tarif impérial des douanes, de garanties assurant au peuple anglais la jouissance des terres vacantes et d’un règlement militaire qui aurait défini avec précision les voies et moyens par lesquels serait assurée la défense des colonies, et par lesquels l’Angleterre pourrait, en cas de nécessité, appeler ces colonies à lui venir en aide. Elle aurait dû, en outre, être complétée par l’institution dans la métropole de quelque conseil représentatif, grâce auquel des relations constantes et continues auraient été établies entre les colonies et le gouvernement anglais. » Et, flétrissant les tendances qui prévalaient au milieu du siècle et qu’il ne se souvenait sans doute plus d’avoir lui-même partagées, il ajoutait : « On a pourtant omis tout cela, parce que les hommes qui dirigeaient notre politique regardaient les colonies de l’Angleterre, regardaient même notre situation dans l’Inde, comme un fardeau pour notre pays, ne s’occupant en toute chose que du point de vue financier et négligeant ces considérations morales et politiques qui font les nations grandes et qui distinguent seules l’homme des animaux. »

Tout l’impérialisme tient en ces quelques phrases. Mais le souple et brillant esprit de Disraeli avait devancé l’évolution de ses compatriotes. Il en eut la preuve par la sourde résistance qui se manifesta dans l’opinion, lorsqu’en 1876 il fit proclamer la reine Victoria Impératrice des Indes… En 1902, c’est aux acclamations, c’est à la demande de tout son peuple qu’Edouard VII a encore ajouté à ses titres celui de « Roi des Domaines britanniques d’au-delà des mers. »