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les croisades, un envoyé officiel du Saint-Siège venait rendre hommage au Saint-Sépulcre, berceau du christianisme universel ; il arrivait en droite ligne du baptistère de Reims, berceau du christianisme français. Ce sont là des faits dont l’Orient se souvient, au grand bénéfice de la France.

Serait-il téméraire de prétendre que ce ne fut point seulement hors d’Europe, mais en Europe même, que l’amitié de Léon XIII nous fut fructueuse ? Nous descendons ici sur un terrain qui, jusqu’à publication des documens, sera chasse réservée pour les diplomates : on y devine certains enchaînemens plus qu’on ne les constate expressément. Voilà moins de treize ans que deux musiques, à quelques mois de distance, étonnèrent le vieux monde en jouant la Marseillaise : la première, en rade d’Alger, était la musique d’une congrégation ; la seconde, en rade de Cronstadt, était celle d’un autocrate ; et ces deux musiques parurent se faire écho. Les Pères Blancs du cardinal Lavigerie avaient commencé ; le Tsar de toutes les Russies continuait. Or la deuxième exécution, celle de Cronstadt, préludait immédiatement à l’harmonie franco-russe. Ces coïncidences étaient instructives : la série d’actes par lesquels le Pape faisait à la République française crédit de sa confiance étaient comme le point de départ des démarches amicales d’Alexandre III. M. Charles Benoist pouvait écrire ici même, dès le printemps de 1893 :


En prêchant la conciliation, l’union entre tous les Français, Léon XIII a contribué à refaire la France plus forte. En délivrant à la République une sorte de certificat de bonne vie et de bonnes mœurs, il a ouvert la voie au Tsar et contribué à doubler encore la force de la France… Si le Pape s’est senti porté de tout son être vers la France, c’est peut-être qu’elle lui est apparue en butte aux desseins équivoques d’une coalition hostile et que le souvenir lui est revenu de toutes les œuvres françaises à travers les siècles. L’affection particulière de Léon XIII pour la France, qui sait si ce n’est pas la haine mal contenue de la Triple Alliance qui l’a nourrie[1] ?


Précisément, en face de l’imposante Triple Alliance, les fêtes de Cronstadt permettaient d’entrevoir les premiers linéamens d’une combinaison diplomatique nouvelle, garante de la paix internationale, et qui pouvait à ce titre obtenir l’active bienveillance d’un pape pacificateur. Et ce n’est point exagérer, c’est même, peut-être, rester au-dessous de la vérité, que de parler,

  1. Revue des Deux Mondes, 15 mars 1893, p. 429.