Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

Le Chaos des peuples est d’avance écarté, comme on le sait, non seulement de la préparation, mais encore de la participation de cette foi épurée : car il n’est pas mauvais que ce groupe dégradé conserve des croyances adaptées à ses besoins inférieurs, et c’est surtout au point de vue religieux que l’universalisme a été proscrit sous nos yeux tout à l’heure, par un impérialisme encore mal assuré de sa puissance d’expansion intellectuelle, tout meurtri de ses précédens contacts philosophiques avec le dehors. Toutefois, en dépit de cette rude excommunication de Rome et de ses suppôts, il ne faudrait pas croire que les inspirations catholiques dans leur ensemble soient exclues des matériaux propres à ériger le temple de l’avenir, ni que le protestantisme en doive fournir à lui seul les fondations préalables. Non pas ; M. Chamberlain est, au point de vue moral, trop près du mysticisme d’un Schopenhauer, au point de vue ethnique, trop voisin peut-être des inspirations du celtisme, et en général trop ami de l’archaïsme dans les manifestations du sentiment religieux pour ne pas ressentir de profondes sympathies quand il contemple le catholicisme celto-germanique, élaboré par des cœurs aryens. La foi de nos Bretons par exemple le captive étrangement, autant que le séduirait sans doute celle de ses voisins montagnards de la Styrie[1], si son attention s’était portée de ce côté. Au contraire, la doctrine de la Réforme ne lui plaît guère : assurément, Luther est à ses yeux un héros germanique, mais surtout par le côté mystique de sa personnalité, pour sa fidélité à la justification par la Foi. L’œuvre religieuse du Réformateur reste lamentablement incomplète, puisqu’il a nié en partie seulement les dogmes plus ou moins magiques du Chaos et qu’il a conservé dans sa doctrine mainte superstition matérialiste du passé. Voyez Erasme et Morus, ces deux grands Germains : ils se sont refusés à embrasser le protestantisme parce qu’ils avaient trop devancé leur temps pour en approuver les hésitations et les demi-mesures. Sans doute, derrière l’incomplète protestation luthérienne se cachait une force incommensurable, celle de l’âme germanique : mais, cette fois encore, la rechute devait venir bien

  1. M. Chamberlain habite Vienne. (Voyez nos études sur le catholicisme styrien dans la Revue des 15 nov., 1er et 15 déc. 1903.)