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l’unique groupe naturel. Quiconque se met entre eux est un intrus il sépare ce qui devrait être uni ; il s’expose à de terribles représailles. Cette unité entre les époux, qui n’est nullement l’expression arbitraire d’une convention législative, mais qui est l’expression d’un fait, puisqu’elle résulte de l’existence de l’enfant, voilà ce que méconnaît le divorce ; c’est par là qui ! peut nous faire souffrir et par là qu’il peut prendre le caractère tragique.

Pour rendre le drame plus intense et pour donner à son idée l’expression la plus saisissante, M. Hervieu a élevé entre les deux époux divorcés le plus d’obstacles qu’il lui a été possible. Marianne a été trompée par son premier mari Max de Pogis. Elle a surpris les coupables, et Max a épousé sa complice. Elle reste donc humiliée, ulcérée. Alors se présente un homme qui est la loyauté et la bonté mêmes, qui l’aime d’un amour ardent, respectueux, chevaleresque. Guillaume Le Breuil lui offre de l’épouser, de lui refaire un foyer. N’est-ce pas une réparation que lui apporte la destinée ? La refuser, ne serait-ce pas pour Marianne manquer en quelque manière à un devoir envers elle-même ? Au nom de quel principe abstrait, cruel et vain, empêcherait-on un être vivant de se reprendre à la vie ? Par cette revendication de son droit individuel, Marianne est bien une sœur des précédentes héroïnes de M. Hervieu. Elle part du point où celles-ci s’étaient arrêtées. Ajoutez que, pour épouser Guillaume, Marianne est obligée de passer outre aux objections, à la résistance de sa mère, catholique intransigeante et qui n’admet pas le divorce. Ce second mariage est pour elle un acte d’autant plus réfléchi et volontaire. Marianne semble donc aussi complètement séparée qu’il se puisse imaginer de son premier mari ; l’expérience qu’elle a maintenant de la vie est bien faite pour l’aider à apprécier comme il convient ce calme absolu qu’elle goûte auprès de Guillaume, cette certitude qu’elle a de pouvoir se fier à lui et s’appuyer sur un bras qui ne faiblira pas. Elle a pris le bon parti. Elle a pour elle la raison.

Elle a pour elle la raison ; seulement, elle a contre elle la passion. Car, à son insu, elle n’a pas cessé d’aimer celui par qui elle a souffert. Nous en avons l’impression très nette au cours de ce premier acte. Elle ne parle pas avec assez de calme de ce mari infidèle et nous nous apercevons bien qu’elle n’a pas réussi à le chasser de son cœur. Et l’espèce de fièvre que fait courir en elle le souvenir de Max de Pogis contraste trop violemment avec le sentiment paisible que lui inspire Guillaume, un sentiment où il n’entre que beaucoup d’estime jointe à beaucoup de reconnaissance. A vrai dire, en se remariant,