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et il fallait que, recouvrant le sentiment de ses ressources dogmatiques et de sa vertu morale et sociale, il trouvât des interprètes actifs, audacieux, décidés à l’exposer, — et à l’exposer au soleil. Littérateurs et artistes romantiques furent les ouvriers de la première tâche ; la seconde fut remplie par des théologiens comme Mœhler et Dœllinger, avec le concours de publicistes formellement passés du service du romantisme au service de l’Église, comme Gœrres et Frédéric Schlegel. Comment les romantiques disposèrent l’opinion publique en faveur des théologiens ; comment des littérateurs laïques, dont la conscience, même, gardait le plus souvent des attaches protestantes, se trouvèrent être les précurseurs et comme les introducteurs de la rentrée du catholicisme dans la pensée germanique : c’est là une surprise d’histoire, — jeu du hasard, diront les uns ; jeu de la grâce, diront les autres ; — elle vaut en tout cas la peine, en ses complexes anomalies, d’être étudiée avec quelque (minutie.


I

Il y eut des heures où Gœthe comprit le christianisme, voire même le catholicisme ; il n’y en eut aucune où il les aimât. Dans ce Panthéon qu’était son cerveau, Jupiter Capitolin avait préséance sur le Christ. Le passage de Poésie et Vérité sur les sacremens catholiques dénote une sorte d’effort pour reconstituer les sensations que doivent éprouver les fidèles au frôlement de ces rites divins ; mais on devine que cet effort est une fatigue, que Gœthe se dépayse, — nous allions dire : il se déclasse, — lorsqu’il s’improvise chrétien. Durant le peu de jours qu’en 1792 il passa chez la princesse Galitzin, la paix des visages le frappa : il y lut la sérénité des âmes, en rapporta le mérite au catholicisme ; et, toujours préoccupé d’aménager pour les énergies de son génie le plus propice terrain de culture qui fût possible, il se demanda peut-être, fugitivement, si la foi catholique n’offrait pas à ses adeptes l’avantage d’une hôtellerie tranquille et confortable.

Mais, outre qu’il partageait les défiances et les susceptibilités de la Réforme à l’endroit de l’Eglise romaine, il se trouvait plus aisément de plain-pied, lui Goethe, avec les divinités païennes, incarnations luxuriantes de la joie de vivre, qu’avec le Christ souffrant et pantelant ; or, pour que Gœthe reconnût un dieu