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que de Dumas fils, c’est, littérairement, de Feuillet que procède M. Paul Hervieu ? Mais ce n’est pas aujourd’hui le temps d’insister sur cette comparaison.

Si maintenant l’observation de ces trois conditions suffit à distinguer, — et je crois qu’elle y suffit, — le « mélodrame » d’avec la « tragédie, » suffit-elle d’autre part à rendre possible une « tragédie moderne » et « contemporaine ? » L’auteur des Tenailles, de la Loi de l’homme, de la Course du flambeau, de l’Enigme l’a cru, et l’auteur du Dédale ne le croit pas d’une foi moins robuste. Nulle autre intention, plus apparente, n’est aussi marquée plus profondément dans son œuvre. Elle l’est dans le choix des sujets ; — où ce n’est pas seulement de la situation et de la fortune des personnages qu’il y va, mais de leur honneur et même de leur vie. Elle l’est dans le choix des moyens ; — auxquels ce qu’on a pu le plus souvent et le plus justement reprocher, c’est de courir à leur but avec une rigueur et une hâte mathématiques. Elle l’est dans la disposition de l’intrigue ; — où la probité de l’auteur n’a point ménagé d’occasions de rire à la frivolité des publics « bien parisiens. » Je ne dis rien du vaudeville classique, pour ainsi parler, celui de Labiche ou de Gondinet ; mais les Tenailles, la Loi de l’homme, l’Énigme, le Dédale, ont mis en déroute le vaudeville « sérieux, » celui de Dumas et d’Augier, de l’espèce de Denise ou des Fourchambault, mélange équivoque du mélodrame, de la comédie de mœurs, et de la satire sociale. On ne rit pas d’un œil en pleurant de l’autre, et ce n’est pas le moment à un auteur d’étaler son esprit, entre deux scènes qu’il destine à nous émouvoir. Elle se marque encore, l’intention tragique, dans la gravité de l’accent, dans la qualité du dialogue, dans le pessimisme de l’observation. Mais, avec tout cela, puisque M. Paul Hervieu lui-même les appelle toujours des « pièces, » la Loi de l’homme ou le Dédale, sont-ce enfin de vraies tragédies ? et s’il y manque encore quelque chose de ce qui leur en ferait universellement reconnaître le caractère, donnent-elles du moins l’idée qu’ « une » tragédie moderne, que « la » tragédie moderne soit possible, et prochaine ?

Nous n’hésitons pas à répondre affirmativement, et si la réalisation de cette forme dramatique nouvelle rencontre quelque obstacle, nous avons essayé de montrer que ce ne serait ni dans la tradition, ni même dans l’habitude que nous avons contractée de lier en quelque manière l’idée même de la tragédie à l’encadrement