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déserte, semée de granités. Dans ces régions septentrionales, la roche éruptive a remplacé les sédimens du Spitzberg méridional. Il n’y a d’autre végétation que des mousses portant de petites fleurs rouges, et on ne voit d’autres traces d’êtres vivans que les empreintes des pattes d’eiders sur le sable de la grève. Les énormes ossemens de morses dont le sol est jonché attestent que ces redoutables mammifères visitent cette plage : toutefois, nous n’en voyons pas un seul, au grand désappointement de nos chasseurs, qui sont réduits à distribuer leur poudre aux phoques et aux oiseaux de mer. On n’est pas peu surpris de rencontrer, à une latitude aussi voisine du pôle, des troncs d’arbres usés par les flots, blanchis par les galets, et entièrement dépouillés de leur écorce : ils sont venus échouer dans ces froids parages après avoir vécu dans des contrées plus favorisées de la nature. D’autres sujets de surprise s’offrent à nos yeux : sur les glaciers voisins nous distinguons, çà et là, de grands amas de neige, non pas blanche, mais rouge et verte, spectacle rare dans nos Alpes, et commun au Spitzberg : ces teintes étranges sont dues à d’innombrables crustacés phosphorescens et à une végétation de champignons et d’algues microscopiques. Nous trouvons, à quelques mètres du rivage, un petit étang d’eau douce, dont la nappe est soulevée en tempête par le vent furieux s’engouffrant dans cette baie trop ouverte. Les naturalistes de l’expédition se livrent ici à la pêche de certains organismes intermédiaires entre le règne animal et le règne végétal, qui pullulent dans ces parages. Quant à nos météorologistes, ils l’ont monter à 1 300 mètres de hauteur des cerfs-volans d’une construction spéciale, destinés à constater la température et l’état hygrométrique de l’atmosphère dans les hautes régions polaires.

Le principal intérêt d’une visite à Smeerenburg, ce sont les lombes des pêcheurs hollandais du XVIIe siècle, qui hivernèrent et moururent dans ce lieu de désolation. Nous errons pendant quelque temps à la recherche de ces tombes, et nous découvrons enfin, non loin de la mer, un cairn autour duquel sont éparpillés sans ordre quatorze cercueils défoncés par les ours blancs et contenant encore les squelettes exposés à toutes les intempéries et à toutes les profanations : les ossemens blanchis par les neiges et les pluies ont été bouleversés de telle sorte que j’ai vu deux crânes dans un même cercueil ; un de ces crânes est encore coiffé d’une casquette dont le drap est dans un merveilleux