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était qu’il laissait de la sorte le front du camp presque sans défenseurs. Si Villeroy, à ce moment, avait, suivant la consigne prescrite, marché droit devant lui, il n’aurait sans doute éprouvé qu’une faible résistance à franchir le grand retranchement, et ce mouvement eût dès lors assuré le gain de la bataille[1]. C’était, on s’en souvient, le calcul fait par Luxembourg dès le début de la journée. Mais, contre toute raison et malgré les prières de ses officiers généraux, Villeroy crut devoir attendre et se tint immobile. Les colonnes du Duc de Bourbon, débordées sur les flancs, assaillies de toutes parts, ne purent tenir contre le nombre. Une seconde fois, elles durent revenir sur leurs pas, évacuer leur conquête ; une seconde fois, l’ennemi reprit possession de Nerwinde. Ce mouvement de retraite s’opéra vers midi. On se battait depuis quatre heures de temps, et tout était encore à faire.


Tandis que, des deux parts, épuisés par cette lutte sanglante, les combattans prenaient haleine, on aperçut alors, au centre de l’armée française, dans un fond abrité du feu de l’artillerie, un petit groupe se réunir et discuter avec animation. C’étaient, autour de Luxembourg, les trois princes, les deux maréchaux, avec Albergotti et le duc de Montmorency. Tous conjuraient le général en chef de ne pas s’obstiner dans une entreprise inutile. La position était, selon eux, imprenable : les soldats, deux fois rebutés, étaient près de perdre courage ; mieux valait renoncer, se résigner à la retraite, plutôt que sacrifier sans fruit l’élite des troupes du Roi. Seul, dit-on, le Duc de Bourbon refusa d’appuyer ces conseils de prudence. Le maréchal écouta leurs raisons en silence ; puis, en paroles rapides, il déclara son parti décidé de continuer la lutte. Si l’on avait échoué deux fois, on réussirait une troisième. Ses meilleurs régimens, jusqu’ici gardés en réserve, n’avaient pas encore combattu ; il les mènerait lui-même à l’assaut de Nerwinde. D’ailleurs Harcourt, resté dans Huy avec un détachement, était mandé par estafette et ne pouvait tarder d’amener ses escadrons. Il acheva sa courte harangue en affirmant qu’il avait résolu de chasser Guillaume de son camp et qu’il le ferait coûte que coûte. Tous s’inclinèrent devant cette inflexible volonté, et l’on ne songea plus qu’à se préparer au combat.

  1. Mémoires de Feuquières. — Histoire militaire de Flandre, par le chevalier de Beaurain, etc.