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la dirigeait en 1870. Quand la guerre contre l’Allemagne éclata, l’Académie de France, au nombre de ses pensionnaires, comptait encore, — quoiqu’il fût, à ce moment, au Maroc, concevant les plus vastes projets, — cet admirable Henri Regnault, qui a laissé un souvenir attendri à la génération qui s’en va. Son nom a eu la gloire de rester le symbole de cette élite de la jeunesse française qui, lorsque sonna l’heure, sut se rappeler qu’en immortalisant les héros, l’art enseigne le dévoûment, le sacrifice à la patrie.

Il y a, datées de Rome, quelques très intéressantes lettres d’Henri Regnault[1], nous racontant sa vie, ses impressions, à la Villa Médicis : « J’occupe, écrivait-il, une petite chambre au bout du parc ; j’ai une terrasse d’où je respire tous les parfums des bosquets qu’elle domine ; à travers les pins, j’aperçois quelques silhouettes de dômes, puis les jardins du Pincio, et, au delà, le château Saint-Ange et Saint-Pierre. Quelle toile de fond ! À chaque heure, elle revêt des aspects différens et, le soir, la lune vient grandir encore ces grandes lignes. » Souvent Henri Regnault « sanctifiait sa matinée à la chapelle Sixtine, devant le dieu Michel-Ange. » Sortait-il dans Rome ou aux environs, il se sentait « marcher avec un respect religieux dans ces rues, dans ces places où chaque pierre raconte un triomphe ou un meurtre. »

Rome, cependant, n’était, ne pouvait être l’idéal, ni tout à fait l’inspiratrice de Regnault. Pour la comprendre, pour l’admirer comme elle doit être admirée, Regnault poussait un peu trop à l’excès cet amour du colossal, de l’extraordinaire, qui lui faisait se demander « comment le peuple romain, qui commandait à la moitié de la terre, pouvait se contenter de ce petit forum et comment ces conquérans, ces héros géans, passaient sans se heurter la tête sous de pareils arcs de triomphe et sans écraser contre leurs parois les trophées et les troupeaux d’esclaves attachés à leurs chars. » Le jeune maître songeait à un autre soleil que le soleil de Rome, qui, en comparaison de celui des pays africains, lui semblait, d’après son expression même, une veilleuse. « C’est l’Orient que j’appelle, que je demande, que je veux, » écrivait-il, rêvant sans cesse « des murailles de Ninive, sur lesquelles vingt-cinq chars pouvaient marcher de front, et des vieux temples indiens composés d’une quinzaine d’étages dont on n’atteignait le premier qu’après avoir gravi

  1. Correspondance d’Henri Regnault.