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et de relief. Sans le contredire jamais, il l’enveloppe toujours et quelquefois il le voile. Mais, si la polyphonie est inférieure au plain-chant pour ce que nous avons nommé plus haut la verbalité, pour la vocalité pure elle l’égale. Elle aussi ne sait et ne veut que chanter. Elle ne se sert que des voix, et de voix cachées, mystérieuses ; elle redoute et défend que le moindre spectacle détourne l’attention des fidèles et trouble leur piété.

L’invisible, voilà tout l’objet de l’art palestrinien. Insensible aux dehors, cet art, qui ne fait aucune place au monde, n’accorde presque rien non plus à l’univers et à la nature. Il n’exprime ni l’apparence ni la figure, mais l’idée et le sentiment. Aussi éloigné que possible de l’action et même du mouvement, art de prière et de méditation, il se recueille plutôt qu’il ne se déploie, il est admirable moins par l’étendue que par la profondeur. « Tôt ou tard, a dit un philosophe, on ne jouit que des âmes. « Cela pourrait être la devise du chant alla Palestrina comme du chant grégorien, et parce que ces deux genres ou ces deux modes de la musique en sont les plus spirituels, les plus intérieurs, ils en sont aussi les plus religieux.

Ils le sont tout entiers : par toutes leurs qualités, on dirait presque par toutes leurs vertus. Ils mettent l’un et l’autre en pratique l’humble parole de Kundry pénitente : « Dienen, servir, » où se résume leur fonction et leur devoir. Ils servent, non pas leur intérêt et leur gloire propre, mais ces fins supérieures qui sont « l’honneur de Dieu et l’édification des fidèles[1]. » En tout ils ne veulent que servir. Pas plus que sur le texte des offices, ils n’entreprennent sur leur durée ; ils ne font pas attendre le prêtre devant l’autel. Sancta sancte. Par eux les choses saintes s’accomplissent saintement. Par eux, par eux seuls, la liturgie commande et la musique obéit. Ils observent, ils sauvent les rapports nécessaires et les suprêmes convenances qui sont la règle et presque la définition de l’art, surtout de l’art sacré.

D’après les instructions pontificales, la musique vraiment d’église doit avoir pour mérites principaux la bonté ou la sainteté des formes et leur universalité. C’est un peu, — qui l’aurait pu croire ? — la doctrine de Taine : « la bienfaisance et la généralité du caractère » servant de mesure à la beauté. Ainsi, par une rencontre inattendue, mais que l’unité des lois fondamentales justifie, un des maîtres de l’esprit philosophique est ici d’accord avec le maître de l’esprit chrétien. La monodie grégorienne et la polyphonie classique satisfont à leurs communes

  1. Lettre pastorale du cardinal Sarto.