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Cela ne dure pas, il est vrai ; dans la journée, nous sont rendus des coins de désert, où la route se dessine à peine, au milieu des sables, des sels brillans et des mirages.

Mais le logis du soir, parmi les saules et les platanes, dans le hameau d’une verte oasis, n’a plus rien du farouche caravansérail auquel nous étions habitués ; c’est déjà presque une auberge, comme on en pourrait trouver dans nos villages d’Europe, avec un jardinet et une grille au bord du chemin. Tout le pays du reste prend un air de sécurité, et se banalise.

La tombée de la nuit, cependant, a du charme encore, et on recommence à sentir que le désert n’est pas loin ; l’heure de la prière est touchante, dans ce petit jardin, sous ses tilleuls et ses saules, au chant des coucous et des grenouilles ; tandis que les chats persans, à longs poils soyeux, circulent discrètement dans les allées obscures, les voyageurs s’agenouillent, les pauvres en robe de coton auprès des riches en robe de cachemire, ensemble quelquefois, deux par deux sur le même tapis.


Samedi 26 mai. — Ce qui change surtout à mesure que nous approchons du Nord, c’est notre ciel. Fini des limpidités incomparables qui étaient un continuel enchantement pour nos yeux.

On ne croyait plus à la pluie, et aujourd’hui la voici revenue ; pendant nos sept heures d’étape, elle nous enveloppe, incessante et fine comme une pluie de Bretagne. Nous couchons dans une vieille maison froide aux murs ruisselans, qui est vide et isolée au fond d’un jardin immense. Comme hier, chant printanier des coucous et des grenouilles. Autour de nous, de jeunes peupliers, des troènes, des rosiers, de longs herbages. Et un vent de tempête tourmente toute cette frêle et nouvelle verdure de mai.

Avec défiance et ennui, nous arriverons demain à Téhéran, ville sans doute beaucoup trop modernisée qui à peine nous semblera persane, après les vieilles capitales du temps passé, Ispahan et Chiraz.


Dimanche 27 mai. — Départ sous la pluie, sous le ciel obscur. Par d’insensibles pentes, nous descendons dans des plaines moins désolées, plus vertes. Des champs de blé, des foins, mais toujours pas d’arbres, et parfois des zones d’une affreuse terre