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longtemps prévu et préparé qui décidera de l’hégémonie en Extrême-Orient, les hommes qui sont responsables des destinées du Japon reculeront-ils devant le terrible inconnu d’une guerre ; mais il faut craindre que la situation politique et financière de l’Empire du Soleil Levant ne le pousse tôt ou tard vers cette fatale échéance. Les armemens du Japon sont trop coûteux pour ses facultés ; non seulement il y a consacré la plus grande partie de l’indemnité de guerre chinoise, mais il s’est endetté et il a augmenté dans des proportions énormes les impôts directs. Le manque de capitaux arrête le développement économique du pays, paralyse le commerce et l’industrie. Pour un État arrivé au maximum de sa préparation militaire et obligé de se résigner à bref délai à une réduction de ses armemens, la tentation est forte de se servir d’un outillage si laborieusement constitué et si coûteusement acquis.

Une autre raison encore pourrait déterminer le gouvernement à une guerre prochaine. Son alliance avec l’Angleterre, qui a si fort exalté l’orgueil national, en faisant entrer définitivement le Japon au rang des puissances de premier plan, n’a été conclue, en 1902, que pour cinq années. En cas de conflit, elle garantit le Japon contre l’intervention de toute autre puissance ; elle pourrait devenir en outre, en cas d’échec grave, une suprême ressource pour arrêter un ennemi victorieux et renouveler, en renversant la situation, l’intervention qui, après la guerre sino-japonaise, a si bien réussi à la Russie.

Enfin, ces dernières années ont profondément modifié la physionomie de l’empire nippon. La fumée des usines obscurcit en beaucoup d’endroits la transparence de l’atmosphère et ternit les grâces délicates du paysage. L’industrie s’est développée, elle a attiré à elle les habitans des campagnes, elle en a fait un prolétariat urbain, souvent misérable, volontiers révolutionnaire, qui ne vit que grâce à l’exportation et qui pousse à la conquête de nouveaux marchés. La superposition d’un fantôme de gouvernement parlementaire à un pays encore féodal et toujours divisé en clans a créé, dans la vie politique et sociale, une perturbation profonde dont les effets ne sont pas prêts de s’atténuer. De la décomposition du vieux corps social est sortie une nuée de politiciens professionnels, flatteurs des passions populaires ; ils sont d’accord, pour pousser à la guerre, avec les descendans des belliqueux Samouraïs qui forment le cadre solide