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Windom, déclarant que les États-Unis devaient être prêts, soit à empêcher que le canal fût creusé, soit à en revendiquer pour eux seuls la surveillance. Ce fut l’erreur initiale de ceux qui lancèrent la gigantesque entreprise, de ne l’avoir pas compris. À ces prétentions impériales, la convention Clayton-Bulwer. en réservant au gouvernement britannique un droit de contrôle sur le futur canal, et, d’autre part, la concession obtenue par M. Ferdinand de Lesseps pour la Compagnie française du canal, opposaient une barrière. L’Angleterre, à l’heure critique où ses forces étaient retenues en Afrique du Sud, et où elle rêvait d’une vaste fédération de tous les peuples anglo-saxons, consentit, pour complaire à l’oncle Sam, à renoncer à ses privilèges et à signer la nouvelle convention Hay-Pauncefote, qui reconnaissait le droit exclusif des États-Unis à exercer la surveillance sur le canal. En France, le désastre financier et parlementaire tristement célèbre sous le nom de « Panama » rendit difficile l’achèvement de l’œuvre entreprise par des Français, avec des capitaux français. Une tentative faite par de hauts personnages russes, pour obtenir de la Compagnie nouvelle une concession de six hectares, en bordure du canal, n’aboutit pas, et la dernière chance qui restait d’« internationaliser » le canal et de l’empêcher de devenir une voie exclusivement américaine fut perdue. Pour 200 millions, la nouvelle Compagnie vendit aux États-Unis le canal avec tous les travaux exécutés, les machines, les outils.

Ainsi, l’ouverture de l’isthme de Panama n’apparaît pas comme de nature à provoquer, à elle seule, une grande révolution économique ; elle n’est que l’une des circonstances qui concourent à porter les foyers les plus intenses de l’activité humaine vers les régions où s’ouvrent les plus vastes marchés, vers l’Asie orientale. Lorsque le canal sera creusé, l’activité des États-Unis tendra à s’exercer de plus en plus dans le Pacifique ; une vie nouvelle se développera dans ce monde, naguère encore inconnu, du Grand Océan. Entre l’Amérique et l’Asie s’établiront les grands courans d’échanges, et peut-être verra-t-on l’hégémonie du monde passer de la vieille Europe à des pays plus jeunes, à des peuples plus virils et plus confians dans leurs destinées. L’ambition de dominer le monde peut venir, un jour, aux maîtres du Pacifique.

C’est sans doute le sens qu’il faut donner à cette conversation