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dans tout ce que l’on rapporte d’elle à ce moment de sa vie, qui n’éveille tout de suite l’image d’une de ces suggestions hypnotiques dont, précisément, les Mesmer et les Cagliostro venaient alors de rappeler au monde la possibilité.

Quoi qu’il en soit, au reste, des moyens employés par Struensée pour la dominer, et pour devenir ainsi le maître absolu du royaume, le fait est qu’il y avait réussi au delà de tout ce que son ambition avait pu espérer. Il avait renvoyé ministres et favoris, s’était fait nommer, tour à tour, « maître des requêtes » et « ministre du cabinet privé, » avait obtenu que les décrets portant sa signature n’eussent pas besoin d’être signés du roi. Et, naturellement, il s’était mis dès le premier jour à décréter des réformes. Ces réformes, dont plusieurs avaient une portée expressément antireligieuse, lui ont même valu, par la suite, dans les pays scandinaves et en Allemagne, une réputation de grand politique. Mais, sans vouloir contester le mérite humanitaire de quelques-unes d’entre elles, — qu’on suppose d’ailleurs lui avoir été inspirées par la reine Mathilde, — j’avoue qu’il me semble difficile d’attacher une importance sérieuse à des décisions aussi brusques, aussi radicales, et qui, si elles avaient été appliquées, auraient bouleversé du jour au lendemain toute la vie d’un peuple. La noblesse et l’armée, le clergé, la propriété, la famille, Struensée entamait tout cela d’un seul trait de plume : plus ardent à son œuvre de destruction que n’allaient bientôt l’être les révolutionnaires français, et travaillant sur un terrain infiniment moins préparé d’avance. Là comme partout, l’impression qu’ils nous fait (et il la faisait déjà aux plus réfléchis de ses contemporains) est celle d’un domestique qui se serait emparé par surprise de la maison de ses maîtres, et qui, sous prétexte de réformes, assouvirait là un vieux fonds de rancunes amassées à l’office.

Les trois ans de son règne ont offert un spectacle qui, dans d’autres conditions, aurait pu aisément devenir sinistre ; mais, en fait, il paraît avoir été surtout d’un imprévu extraordinaire. Le premier ministre dictait à son souverain, pour être envoyées à l’impératrice Catherine, des lettres écrites en style d’antichambre, où Christian appelait son impériale sœur « Votre Majesté, » et signait ingénument : « J’ai l’honneur d’être, Madame, de Votre Majesté le très-humble et obéissant serviteur. » Toute la noblesse du royaume s’abstenant soigneusement d’assister désormais aux fêtes de la Cour, ces fêtes n’en avaient pas moins lieu, plus fréquentes et plus somptueuses que jamais ; mais on n’y voyait figurer que les bourgeois de la ville avec leurs familles. C’est ainsi que le Prince-Royal de Suède, durant sa visite