Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du vol léger des trois vertus théologales. Son manteau noir et blanc veut dire : Sienne, étant aux couleurs de la Balzane, écu de la cité. A ses pieds la Louve à demi couchée lèche, le mufle allongé, les jumeaux qui la tettent. Plus bas, la procession du peuple, et les soldats en armes gardant la porte de la ville. Mais à gauche de la peinture un groupe singulier attire le regard. Au centre, siège la grande image de la Justice. Extatique, immobile, telle que la Némésis antique, elle lève les yeux vers la Sagesse qui la domine et règle ses conseils, les paumes étendues vers les deux plateaux de la balance mystérieuse. Mais elle n’y impose pas même le petit doigt, et interroge. fixement au-dessus d’elle les oscillations de l’arbre d’où leurs disques dépendent. Posés sur chacun d’eux, des génies président d’un côté aux distributions et de l’autre aux échanges. La Concorde, qui en résulte, siège au-dessous de la Justice, parlant avec amour au peuple qui l’écoute, et tenant en travers de ses genoux une pièce de bois, souvent prise pour quelque instrument de musique, et qui est le rabot, clair symbole de l’égalité. Ce n’est pas tout, et voici le trait d’union imaginé par l’artiste pour achever sa pensée, et relier ce groupe au groupe impérial. Un double câble, rattaché au double plateau, vient se réunir entre les doigts de la Concorde, à qui il communique les mouvemens de la balance et les ordres de la Justice ; ensuite, passant de main en main le long du cortège du peuple, des marchands et des magistrats, il aboutit enfin au sceptre que tient l’Empereur. Ce qui veut dire… que la justice est la règle des gouvernemens et qu’elle s’inspire de la raison, pour produire à son tour l’union des citoyens et leur obéissance au prince, tandis que celui-ci, avec l’aide du ciel et des vertus chrétiennes, sera digne d’être regardé comme la loi vivante sur la terre.

Cet ingénieux rébus, est-ce encore de la peinture ? Très lettré, à ce qu’on assure, poète, philosophe, le peintre mérita des honneurs et des emplois dans sa patrie. Cette légende, sans autre fondement que l’ouvrage qu’on vient de décrire, en est la critique la plus fine : la voix populaire qui a débité tant de contes sur les grands peintres, ne s’avise pas de les improviser magistrats. Il manque à cet ensemble, surchargé d’intentions, et où la leçon trop visible efface l’intérêt du style, cette volupté supérieure qui est la vie propre de l’art. Les élevés des Lorenzetti ont-ils mieux réussi que leurs maîtres dans leurs allégories du