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Voulant tuer le feu dont la chaleur me cuit
Les muscles et les nerfs, les tendons et les veines…


a passé, en 1584, du second livre des Sonnets pour Hélène au recueil des Amours diverses. On voit par-là combien il est difficile de dater avec précision le dernier livre d’amour de Ronsard, et aussi ne l’essaierons-nous pas davantage. Il suffit, qu’avec la seconde partie des Amours de Marie et le recueil des Amours diverses de 1578, les deux livres de Sonnets pour Hélène soient le journal des regrets ou des rêves d’amour de Ronsard, de 1569 à 1584. Mais nous ne pouvons pas affirmer qu’ils soient ses « dernières poésies ; » et toutes les pièces qui ont paru pour la première fois dans l’édition de 1578, ou dans celle de 1584, peuvent leur en disputer le titre.

Si l’on admet ces dates, Ronsard n’avait donc guère que quarante-trois ou quarante-quatre ans quand il aima Hélène de Surgères, et quoique ce soit sans doute un âge qu’on peut appeler « mûr, » ce n’en est pas un d’ordinaire où les poètes croient avoir passé le temps d’aimer. Il semble cependant que son amour ait été plus pur, d’une autre essence, et plus rare, que celui qu’il avait éprouvé pour Cassandre, et surtout pour Genèvre. À la vérité, pour contredire cette impression d’ensemble, il y a bien l’admirable sonnet qu’on trouve dans toutes les Anthologies, et dont on ne saurait faire tort à Ronsard dans une étude consacrée à son œuvre :

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant
Direz, chantant mes vers et vous émerveillant
« — Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. — »

Lors vous n’aurez servante, oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle ;

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain,
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

[Édition de 1584, Livre II. Sonnet 43.]