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Oui, il y a ce sonnet, et il y en a d’autres ! Mais il n’est que la dernière expression, et la plus achevée, d’un thème que le génie voluptueux et mélancolique de Ronsard aimait à développer. Il aimait, nous l’avons dit, associer l’image de la mort à celle de l’amour,


Car l’Amour et la Mort n’est qu’une même chose !


Ce vers est le dernier du second livre des Sonnets pour Hélène ; et, comme tous les épicuriens, Ronsard, nous le répétons, jouissait vivement de la brièveté même du plaisir. Les longs plaisirs ne sont que d’indolentes habitudes ! Mais, après tout, cette note que sa gravité, si je puis ainsi dire, n’empêche pas d’être sensuelle, ne revient pas souvent dans les Sonnets pour Hélène, et le sentiment qu’il éprouve pour cette jeune fille est celui d’une admiration caressante et protectrice. S’il l’aime d’être jeune et belle, il l’aime d’être « sérieuse » aussi. Il l’aime d’aimer sa gloire, à lui Ronsard, et il l’aime du désir qu’il a de l’immortaliser par son amour,


Afin qu’à tout jamais de siècle en siècle vive
La parfaite amitié que Ronsard vous portait
Comme votre beauté sa raison lui ôtait,
Comme vous enchaînez sa liberté captive ;
Afin que d’âge en âge à nos neveux arrive,
Que toute dans mon sang votre figure était,
Et que rien, sinon vous, mon cœur ne souhaitait,
Je vous fais un présent de cette sempervive.
Elle vit longuement en sa jeune verdeur :
Longtemps après la mort je vous ferai revivre,
Tant peut le docte soin d’un gentil serviteur
Qui veut en vous servant toutes vertus ensuivre.
Vous vivrez, croyez-moi, comme Laure en grandeur,
Au moins tant que vivront les plumes et le livre.
[Édition de 1584, Livre II, Sonnet 2.]


Moins connu, moins souvent cité, ce beau sonnet vaut l’autre, si même on ne le trouve plus pur, de l’accent de sensualité qui lui manque, et j’ajoute plus généreux, étant moins discourtois. C’est, en effet, un compliment d’un goût toujours douteux que de rappeler à une femme aimée que sa beauté n’aura qu’un jour ; et le conseil n’est pas bien honnête, — encore qu’il ne soit qu’un