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discours ou de nos écrits ; mais vous n’en formulez pas moins un réquisitoire accablant. A vos yeux nous sommes des ennemis de la patrie, des cosmopolites, des criminels ou des inconsciens, types flasques, affolés par la peur de la guerre, partisans d’une paix honteuse, prêts à faire de la France une proie livrée sans défense aux convoitises de ses rivaux.

Il existe, je le reconnais, des hommes excellons qu’impressionne un pareil tableau ; les moyens leur manquent encore pour se renseigner par eux-mêmes, mais leur nombre diminue chaque jour et l’immense majorité des Français saura bientôt discerner la vérité qu’on ne peut lui cacher indéfiniment.

Cette vérité, quelle est-elle donc et, pour m’en tenir à l’examen de conscience que vous m’imposez, qu’ai-je dit pour ma part, qu’ai-je fait ?

Depuis le jour où volontairement j’ai quitté la diplomatie, j’ai préconisé, avec toute l’indépendance qui m’avait manqué jusqu’alors, une organisation et des mœurs nouvelles. Laissant à d’autres plus éloquens les aspirations généreuses, je me suis borné à appliquer les observations de toute ma vie et à poursuivre méthodiquement une agitation économique, un réveil de notre activité nationale. Dans la Revue, à la tribune de la Chambre, puis au Sénat, dans des articles et des conférences sans nombre et sur tous les points de la France, j’ai démontré la nécessité de ce réveil ; cela dans l’intérêt de notre pays, que je n’ai pas la ridicule prétention d’aimer plus que vous, mais que j’ai conscience d’avoir servi toute ma vie, de toutes mes forces. Vous m’objectez que ce patriotisme est la négation de celui que vous concevez, et qu’il est trop business-like ; mais avec quoi paierez-vous donc vos flottes, vos armées, vos expéditions lointaines, si nous ne vous créons pas le supplément de ressources nécessaires ? Le but de cette première campagne est clairement défini dans ma lettre au Temps du 11 mars 1901, programme du Comité de défense des intérêts nationaux, qu’une première phalange de collaborateurs, voyageurs, écrivains et conférenciers, m’aidèrent à constituer. Quoi de plus « national » que ce programme ? Aux progrès inattendus de la concurrence universelle opposer de virils moyens de résistance ; en face des mondes nouveaux, privilégiés, l’Amérique, l’Asie, nos cliens d’hier changés en compétiteurs, limiter nos charges improductives, corriger nos erreurs, nos routines, mettre en valeur nos ressources inexploitées, éviter les aventures intérieures, extérieures, coloniales et autres… Oui, ce programme était bien simple quoique nouveau, si simple qu’il est devenu depuis lors un lieu commun. Aussi nous ne nous en sommes pas