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d’autres hommes, dont l’opinion se défiait à tort ou à raison, devaient eux aussi abandonner les hautes situations qu’ils avaient remplies sous un régime condamné. Le grand-duc Wladimir et le général Trépof ont suivi M. Pobiedonotzef dans sa retraite, ou plutôt on leur a donné des fonctions nouvelles où ils n’auront pas à jouer un rôle politique et où ils ne pourront pas entraver le mouvement libéral. Nous ne nous associerons pas à la légère aux jugemens qui ont été prononcés sur eux, sachant trop combien les foules se trompent lorsqu’elles s’émeuvent et se passionnent ; mais il y a des jours où on perdrait son temps à vouloir rectifier les jugemens des foules et où il faut céder à une opinion toute-puissante. Le général Trépof en particulier ne parait pas avoir été l’homme de police qu’on a dépeint comme implacable. Il a annoncé, à la vérité, qu’il maintiendrait l’ordre avec une extrême énergie ; mais, si ses paroles ont été menaçantes et même parfois brutales, ses actes ont été pleins de circonspection et de ménagemens. A lire certaines dépêches, le général Trépof allait mettre Saint-Pétersbourg à feu et à sang. Le sang a coulé, le feu a été mis ailleurs : à Saint-Pétersbourg, un ordre relatif a été maintenu sans violences, et c’est probablement à lui qu’on le doit. Il faisait, au surplus, profession d’être converti aux idées libérales et d’approuver le mouvement qui se dessinait en leur faveur. N’importe, il devait être sacrifié, il l’a été. Il fallait donner l’impression rapide et forte qu’on inaugurait une politique nouvelle, et, dans tous les pays du monde, cela ne peut se faire qu’avec des hommes nouveaux.

Il semble qu’après ces gages donnés par M. Witte, les libéraux, sinon les révolutionnaires, devraient avoir confiance dans le gouvernement et lui accorder quelque crédit ; mais nous ignorons encore ce qu’il en sera. En attendant, le phénomène qui se manifeste aujourd’hui partout est celui que Taine a appelé l’ « anarchie spontanée » pendant la Révolution française. Non pas qu’il faille comparer des situations aussi dissemblables : on risquerait de s’égarer en le faisant. La Russie de 1905 ne ressemble nullement à la France de 1789. Mais il y a des traits communs à toutes les révolutions, au moins en de certains momens, et l’affaiblissement, l’insuffisance, la disparition même des pouvoirs organisés en face de l’émeute sont un de ces traits. Il est même arrivé en Russie, — une note officieuse l’a reconnu et M. Witte y a pourvu par un certain nombre de révocations, — que la police ait fomenté l’émeute. Les forces d’autrefois, les forces de réaction et de compression se défendaient spontanément, instinctivement, contre les forces libérales d’aujourd’hui et de demain. Par malheur, il