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écrivain, Boutmy, destiné à une belle renommée littéraire et historique, me consacra une étude fine, élevée, chaleureuse. Dans l’Opinion nationale, Guéroult prouva une fois de plus que s’il était un esprit d’élite, ii était non moins une vaillante et honnête conscience ; lui aussi était miné par l’ambition des jeunes irréconciliables ; il aurait pu se joindre à ceux qui m’accablaient. Au risque de se nuire, il me rendit un témoignage sans réserve.

Le Journal de Paris, dirigé par des écrivains distingués, Hervé et Weiss, nullement mes amis personnels, dit le dernier mot, le jugement de l’histoire : « Tout ce qui s’est passé entre le comte Walewski, M. Emile Ollivier, l’Empereur, M. Rouher était de nature à troubler l’esprit d’un homme que son étoile jetait sans dire gare au milieu de ces formidables engrenages. Le député de Paris n’a pas eu un instant de vertige ; il nous a toujours paru maître de sa langue et de ses mouvemens ; il a manœuvré entre deux intrigues, et s’est tiré de la bagarre avec une habileté qui montre une âme bien trempée et un coup d’œil très sûr. Nous lui savons gré avant tout d’avoir profité de ce qu’il ne voulait pas devenir ministre de l’Instruction publique pour développer devant l’Empereur un programme libéral mieux conçu et plus complet que celui qui a été appliqué. Ce programme du moins est irréprochable ; c’est le programme de tous ceux qui aiment la liberté pour elle-même et non pour les avantages personnels qu’elle leur procure. »

Enfin, le grand public, auquel il est si difficile de parvenir, entra en scène. Les injures dont on accablait le livre lui donnèrent envie de le lire. Les éditions se succédaient sans que j’eusse le temps d’en corriger aucune. En moins d’un mois, 20 000 volumes avaient été enlevés et les demandes continuaient toujours. Comme ce grand public n’était pas aveuglé par le parti pris, il approuvait. De toutes parts, je recevais des lettres d’encouragement, des témoignages d’affection. De cette collection je ne veux citer que celle de Sainte-Beuve qui prouve avec quelle perspicacité il comprit la portée de mes révélations : « Cher monsieur, je lis ces intéressantes révélations qui nous montrent à quel point l’Empire n’a plus de gouvernement, et quelle anarchie politique il règne entre ses agens les plus élevés et les plus immédiats. Jamais en aucun temps en France, il n’y a eu de pareille anarchie dans les Hautes régions du pouvoir. Si l’on remonte jusqu’à Louis XV, il y avait au moins