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irréductible à la « science » ou à la « philosophie », le problème de nos origines et celui de notre destinée, — partant le problème de la morale, — demeurent des problèmes « théologiques : » et alors, loin que la notion du surnaturel se soit le moins du monde évanouie au contact de la critique, on peut dire qu’elle a retiré de ce contact une consistance et je ne sais quelle plénitude qui l’imposent d’autant mieux à notre attention.

Et notez qu’il s’agit d’un surnaturel « objectif, » de données qui se proposent à nous, et qui ne sont pas, ou qu’on ne voit pas qui puissent être de nous. Non, les prophètes ne courent pas les rues, et l’on n’est pas un « inspiré, » ou même simplement un homme religieux, par cela seul qu’on se fie à son « sentiment : » c’est ce dont Leroux ne s’est jamais douté. Le sentiment ou la vie est une aspiration à faces multiples, un faisceau de tendances contradictoires, et qui se heurtent beaucoup plus souvent qu’elles ne se concertent ou s’harmonisent ; et c’est précisément l’objet de la synthèse religieuse de coordonner ces tendances, de les subordonner toutes à l’une d’elles, jugée et proclamée en quelque manière supérieure. Si ce jugement est impliqué dans la vie, ou s’il y est, comme on dit, à l’état latent, à coup sûr nous n’arrivons pas à le proprement formuler ; la seule formule que nous en possédions nous a été donnée, et c’est la « théologie » qui nous l’a donnée. Il est peut-être humiliant pour nous que les choses soient ainsi ; mais elles ne sont pas autrement.

Ce qui est vrai, et ce que Leroux a assez bien vu, c’est que le dogme est, non point une donnée irrémédiablement extérieure à nous-mêmes, ou figée pour l’éternité en une formule immuable, mais une donnée vivante : ce qui signifie que si, en un sens, elle est reçue et acceptée, en un autre sens, tout aussi légitime, elle fait un avec nous-mêmes, et s’incorpore à notre vie pour l’organiser et la diriger, mais aussi pour en recevoir à son tour je ne sais quelle nouvelle extension. Pour que le dogme entre en nous, il faut que nous nous y prêtions, car il est exigeant à sa manière, et nos diverses tendances ne sont point faites pour lui convenir toutes ; il entend les régler à sa guise et se les soumettre, — pour commencer. Mais une fois en nous-mêmes, il s’apprivoise en quelque sorte, et d’autant plus vite que nous avons mis moins d’obstination à lui résister ; il devient le compagnon familier, l’ami en veine de confidences ; et c’est alors qu’il se révèle et qu’il s’impose à nous pleinement ; c’est alors aussi qu’il se développe, par cette collaboration