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de tous les instans avec ce qui constitue notre vie, notre action, notre pratique.

À ce développement du dogme en nous, correspond, dans l’expression ou la traduction verbale du dogme, un développement parallèle. La nécessité s’impose, en effet, de tenir la formule du dogme en rapport avec le dogme lui-même, d’enregistrer les incessans progrès de celui-ci en des formules toujours plus larges, toujours plus compréhensives, toujours plus actuelles, qui ne le menacent ni ne l’altèrent en rien, mais au contraire lui donnent tout son sens en en manifestant toute la portée. Et c’est sous cette forme surtout qu’on envisage le développement du dogme, quand on parle de son « évolution. » Mais on se ferait, de cette évolution, une idée erronée, si on se la représentait sous la forme d’une explicitation verbale, par voie abstraite ou déductive. Le dogme est essentiellement une vérité vécue, et c’est en tant que vécue, et dans la mesure même où on la vit, qu’elle évolue. Le progrès des formules dogmatiques n’aurait pas grande portée sans cela, à supposer même que, sans cela, il fût possible.

Le fait de la collaboration des croyans, de tous les croyans, au développement du dogme, soulève un dernier problème. Leroux s’y est arrêté longuement, mais il n’apparaît pas qu’il en ait sondé toute l’étendue, à en juger par la manière dont il le résout. « Sans contredit, a-t-il écrit quelque part, les idées catholiques se rapportent au principe de l’autorité ; mais l’autorité elle-même, dans les idées catholiques, n’est qu’un moyen de conserver la tradition et la foi. » Cela, en vérité, n’est pas trop mal observé. Mais c’est là un de ces obiter dicta semés à profusion à travers l’œuvre de Leroux, et qu’on en pourrait détacher sans que l’œuvre elle-même s’en trouvât le moins du monde atteinte dans son existence. En réalité, Leroux n’a jamais varié sur ce point, que si l’unité est une chose à tous égards souhaitable, l’on aurait néanmoins parfaitement tort de la désirer, si elle n’était possible qu’à la condition que l’individu lui sacrifiât son droit de penser à sa guise. « Oui, écrit-il, s’il n’était possible d’avoir une religion et une société qu’à la condition de voir reparaître le despotisme social, plutôt point de religion, plutôt point de société. Ainsi conçue, en effet, c’est-à-dire conçue comme niant et détruisant le droit qu’a chaque individu de croire ou de ne pas croire et de penser à sa guise, une religion serait, au point où nous sommes arrivés maintenant, la plus atroce des iniquités. »