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comme aussi bien toute religion, n’est pas uniquement un principe de vie intérieure ; qu’il implique ou entraîne une politique, diverse suivant les milieux, diverse aussi suivant les époques, mais une dans son principe, lequel n’est autre que la loi d’égalité fraternelle. Les malentendus, à cet égard, sont nombreux ; mais il en est un qui les comprend ou qui les résume tous. Parce que le christianisme a distingué le spirituel du temporel, et confié le gouvernement de ce monde à deux pouvoirs autonomes, on s’est imaginé qu’il faisait dans la vie deux parts, l’une, — la vie du moi, — que l’Idéal devait informer, épurer, transfigurer ; l’autre, — la vie du nous, — soumise exclusivement aux impulsions de la Force. Ainsi, non seulement, d’après cette vue, les deux pouvoirs se doivent réciproquement ignorer, mais la religion et la politique n’ont rien entre elles de commun, et ni la morale ne peut espérer s’insinuer dans le droit, ni le droit ne peut aspirer à devenir moral. « Séparation du spirituel et du temporel : » en cette formule équivoque, s’est venue condenser l’exégèse que nous dénonçons. Or, comme l’a fort bien montré Leroux, à aucun moment l’Église n’a entendu o séparer » le spirituel du temporel ; elle a toujours souhaité, au contraire, et, au besoin, exigé qu’ils marchassent d’accord. Accord des deux pouvoirs, accord de la morale et du droit : telle a été invariablement la doctrine de l’Église. On en pourrait accumuler les preuves : nous ne pouvons que renvoyer, sur cette question, au petit livre que Leroux a intitulé : Malthus et les Économistes. Ceux qu’on appelle, depuis quelques années, les catholiques sociaux y trouveront, admirablement développées, quelques-unes de leurs thèses favorites.

Nous avons dit pourquoi, à notre sens, la « religion » de Leroux n’avait aucune chance de s’imposer, et comment la base en était ruineuse. Mais si l’ensemble de sa construction est dénué de solidité, l’on a vu qu’on y peut discerner des parties résistantes, — ou des aperçus que le catholicisme, par exemple, pourrait utiliser, comme il a toujours fait, dans le passé, à l’égard des hérésies successives, desquelles on a dit avec raison qu’elles n’étaient, le plus souvent, que les exagérations de certaines vérités. Leroux n’éprouvait, à dire vrai, à l’égard de l’antique religion, ni aversion, ni dégoût ; et il eût trouvé naturel que l’on le considérât comme un réformateur soucieux simplement de la renouveler ou de la rajeunir. « Si, comme on le suppose, écrivait-il, le christianisme