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espadons étaient des Histiophorus, et on les a ainsi appelés à cause de leur vaste nageoire dorsale qui rappelle une voile triangulaire...

...Le tribut que doit le voyageur arrivé à Colombo ne s’étend pas seulement à cette nuée « d’officieux » qui le pourchassent jusqu’à l’hôtel sous couleur de transporter son bagage, il s’étend aussi aux oiseaux du ciel qui exigent la dîme de son petit déjeuner. Malgré la pluie qui tombe à flots, par rais verticaux, — ce qui me permet de garder ma fenêtre largement ouverte sur la mer. — les corneilles s’occupent de moi. A ce moment même, l’une d’elles envahit ma chambre, et deux autres, perchées sur l’appui de la croisée, l’assistent de leurs hochemens de tête. La théière de métal blanc appelle sa convoitise. D’un coup de bec l’oiseau attaque le vase brillant, le renverse, puis il s’échappe à grands coups d’aile, croassant à gorge déployée. Et ses compagnons, sans quitter la place, semblent approuver l’entreprise.

Je reconnais, à ces signes, que je suis sur une terre indienne, et.je me réjouis à penser que sur le continent, depuis le zebu qui va quêter de porte en porte la poignée de riz que ne lui refuse jamais la brahmine, jusqu’au singe entelle qui maraude librement au marché, je vivrai dans une promiscuité familière avec les bêtes de la terre. Déjà, voici un petit gecko qui trotte sur ma table. On dirait un lézard jaunâtre, très plat ; sa tête est en façon de cœur, ses yeux glauques ont leur pupille fendue, et la peau de sa gorge est si fine qu’on voit dessous palpiter son cœur rose. Attiré par les mouvemens de ma plume, l’aimable reptile se hâte dans l’espoir d’un insecte possible. A une poutre du plafond je reconnais un pélopée acharné à son travail. L’insecte jaune et noir, élancé, dont l’abdomen en poire semble relié à son corselet par un fil, tant son pédoncule est délié, travaille, maçonne, gâche de la terre, construit son nid. Celui-là, au contraire du gecko, est vraiment nuisible, car, en tout pareil aux eu mènes de Port-Saïd, il donne la chasse aux araignées, les engourdit d’un coup d’aiguillon, puis les empile dans les cellules de son édifice. Ainsi les araignées curarisées seront rongées, sans défense, par les larves du pélopée. Juste revanche des insectes ailés contre l’araignée qui en détruit tant dans sa toile.

Mais les observations à faire sur la faune d’un hôtel de Colombo sont forcément limitées tant les appartemens sont entretenus avec une minutieuse propreté. Je me prends à regretter cet ineffable