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hôtel parsi de Kurrachi où je descendis jadis. Mal logé, mal couché, mal nourri, peu ou point servi, j’y vivais des jours heureux, parce que j’étais le seul occupant. Le respect humain ne m’interdisait pas de prendre mes repas solitaires dans la plus simple des tenues d’intérieur. Les enfans de l’hôte circulaient sous la table, des papillons nocturnes, des blattes agiles couraient dessus, d’énormes fourmis emportaient les fragmens de mie de pain, une chauve-souris poussait des cris perçans en voltigeant autour de la lampe, et un animal, demeuré malheureusement inconnu, lançait de temps à autre un appel pareil au bruit d’une trompette.

Au Galle-Face Hôtel, le luxe m’entoure, me poursuit, m’étreint dans le cercle étroit des nécessités mondaines, jusqu’à me forcer d’endosser, chaque soir, le smocking ou l’habit pour dîner aux accords, pour moi sans charmes, d’un orchestre de tsiganes. Les brillans luisent sur les épaules nues, les face-à-mains vous observent. On se présente de petite table à petite table. La soirée se continue par des concerts et des tours de valse. Mon séjour au Galle-Face Hôtel sera bref. Cette continuation de la vie métropolitaine à travers l’espace me déplaît comme tout ce qui n’est pas à sa place. La semaine ne s’écoulera pas que je ne parte pour Kandy.

Mon séjour à Colombo sera très court. La pluie d’hier ne fut qu’un accident. La saison sèche n’est en rien favorable à mes travaux de naturaliste.

La différence essentielle entre le naturaliste voyageur et le touriste est dans ce que le premier doit rapporter des objets, tandis que le second n’est tenu, en somme, qu’à rapporter des impressions d’autant plus vagues qu’elles sont plus personnelles, ou même à ne rapporter rien du tout, s’il le juge bon.

Le système de voyage devient donc pour eux radicalement différent. L’un doit avoir un bagage énorme, un domestique considérable, un matériel de campement. L’autre s’en va, une simple valise à la main, de Marseille à Darjeeling par les étapes indiquées. Il connaîtra Agra, dont le Taj fut bâti par des Italiens dirigés par un Français, Delhi où se dresse le pilier du roi Dhava, Bénarès cher aux amateurs de foules, Luknow, Djeypour, d’autres villes encore que je ne verrai jamais, pour ma part — Le touriste vole comme l’oiseau, le savant marche lourdement, comme la tortue, et le poids de son bagage va toujours s’augmentant, tant