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fusion des musulmans et des colons ; il y faudrait tout au moins des siècles et, quand on voit la persistance des haines de race entre les Irlandais et les Anglais, les Tchèques et les Allemands, il paraît chimérique de penser que l’on puisse, avant un grand nombre de générations, obtenir la fusion en Afrique de l’élément indigène musulman et de l’élément européen. Le temps incalculable qu’il faudrait pour y parvenir écarte cette éventualité du domaine de la politique pratique. Il n’en résulte pas qu’il faille se résigner à un état persistant de guerre latente entre les deux élémens qui forment la population algérienne : tous les efforts doivent tendre à effectuer entre eux un rapprochement, fonde sur la tolérance mutuelle, le sentiment des nécessités pratiques et aboutissant à une coopération efficace dans une œuvre économique commune. Cela suffit au développement de la colonisation. Plus tard, quand les griefs entre eux seront beaucoup plus lointains et que les préjugés et les préventions se seront atténués, on pourra peut-être arriver à une union, qui ne sera pas seulement extérieure et matérielle, qui ne reposera pas uniquement sur la tolérance et l’intérêt, qui prendra un caractère de cordialité ou d’intimité ; mais on ne peut regarder ce résultat comme prochain.

M. Ismaël Hamet espère, cependant, qu’il se réalisera, et il en donne les raisons. Il suit et décrit l’évolution de ses coreligionnaires au contact français : il l’étudie au point de vue agricole, au point de vue commercial et au point de vue intellectuel.

On allègue, avec grande exagération, que les indigènes musulmans méprisent tous nos arts et tous nos progrès, qu’ils restent enchaînés à leur routine traditionnelle. Cela n’est que partiellement vrai ; le khammès indigène ou fermier au cinquième de la récolte a, sans doute, peu d’ouverture d’esprit et peu de ressort. Mais les grandes sociétés financières européennes, possédant d’énormes domaines et qui veillent à leur productive exploitation, — la Société genevoise de Sétif et la Compagnie algérienne notamment, — témoignent dans tous leurs rapports que leurs métayers et fermiers indigènes améliorent peu à peu leurs cultures, recourent à des instrumens ou à des procédés qu’ignoraient leurs pères : la herse, la fumure. M. Ismaël Hamet, de son côté, multiplie les exemples de progrès agricoles parmi ses coreligionnaires algériens : ils cultivent aujourd’hui, dit-il, le blé tendre, le seigle, l’avoine, le millet, la pomme de terre, la mandarine et produisent du vin,