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entreprenans, les Américains du Nord, les Canadiens, les Russes, de réunir par des voies ferrées ces tronçons séparés de notre Empire.

Nous nous attardons dans l’inaction et nous courons le risque de quelque nouvelle fâcheuse surprise. C’est à peine si nous nous sommes enhardis, il y a six ans, à occuper les oasis du Touat et du Tidikelt ; or, si nous eussions hésité quelques années de plus, il est hors de doute que ces terres, infiniment précieuses par leur situation, sinon par elles-mêmes, eussent été perdues pour nous.

Nous nous serions trouvés coupés ou presque coupés de communication avec l’Afrique intérieure. Nous continuons à nous reposer sur nos conventions avec l’Angleterre relativement à l’Afrique centrale ; nous avons, cependant, éprouvé par l’expérience récente, qu’on peut nous dire un jour que c’est une res inter alios acta, qui n’oblige que les tiers. Il faut une occupation effective, une chaîne positive et visible entre l’Algérie et le Soudan français ; les chemins de fer seuls peuvent la constituer. Nous risquons de perdre un jour et le Bornou, et le Ouadaï, et peut-être même l’Ayr, si nous nous y abstenons d’une occupation effective. C’est une inexcusable négligence que de ne pas établir à Agadez un petit poste permanent, dépendant de Zinder.

Il faut enfin nous décider à entreprendre les chemins de fer transsahariens, œuvre stratégique, politique, administrative et économique[1]. Les amorces à faire, sans aucun retard, c’est de pousser jusqu’à Igli d’abord, puis jusqu’au Touat ou au Tidikelt le chemin de fer sud-oranais qui s’arrête actuellement à Béchar ; c’est simultanément, dans la province de Constantine, de porter de Biskra à Ouargla par Touggouri le terminus provisoire de notre ligne ferrée. Si nous continuons d’atermoyer, jamais notre empire africain ne sera solidement constitué, et un tiers pourra un jour, venant de l’Est ou de l’Ouest, revendiquer les contrées entre l’Algérie et le Soudan. Ce serait, dans des conditions beaucoup plus graves, un renouvellement de l’incident marocain.


PAUL LEROY-BEAULIEU.

  1. Sur la facilité d’exécution et les chances de productivité de cette œuvre, nous renvoyons à notre ouvrage : le Sahara, le Soudan et les Chemins de fer transsahariens. Paris, Alcan, 1901.