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terrestre, se voient maintenant rangées sur les tablettes des vitrines, à la galerie anthropologique du Muséum. M. de Quatrefages en a, depuis longtemps, cédé la garde au docteur Hamy. Et le savant professeur les place, d’occasion, sur sa chaire quand il fait son cours. Ainsi le paria Vaïapouri, décédé à Genji en septembre 1880, est-il aujourd’hui représenté par sa boîte crânienne dans notre premier établissement scientifique, et l’humble rayot, son beau-frère, qui me céda cette dépouille, portée à la pointe d’un bâton, ne se doutait certes pas, au mois de décembre de la même année, qu’il rendait service à la science. Combien d’autres souvenirs évoquent ces ruines où je me traîne tout le jour, le crayon à la main, ou essayant, avec ma roulette métrique et ma boussole, de retrouver les monumens indiqués, trop sommairement, sur le plan de Gartyn. Et ma santé est mauvaise. Il y a vingt ans, je résistais mieux à la chaleur du jour et à la sournoise humidité de la nuit. Et pourtant je dormais, couché à même la dalle, enveloppé dans une simple couverture, sous ce mandapam dont le R. P. Darasse m’avait confié la garde, et qui servait d’abri aux missionnaires en tournée.

Où est-il maintenant, ce Père Darasse qui évangélisait les parias de Settipettou ? Je le revois se hâtant sur la route vers des conversions prochaines. Sa longue barbe descendait de son visage maigre et attentif bien bas sur sa robe blanche. Une barrette noire couvrait sa tête, et il s’appuyait sur une haute canne à sommet recourbé en crosse, tel le bâton des grands abbés du Désert. Il m’appela près de lui, dans son district désolé et pierreux, et me donna ce Minuchis Felix que je conserve dans ma bibliothèque aussi pieusement que le souvenir de ce saint que l’Inde chrétienne garde, à l’heure où je recopie ces lignes, et qu’elle gardera toujours, puisqu’il s’est consacré à elle jusqu’à y finir ses jours. Ensemble nous visitâmes les environs ; sous la couleur d’explorations historiques, le Père secourait les survivans de la famine. Et il me mena jusqu’à ce champ de bataille de Wandiwash où, malgré le courage et la ténacité de Lally Tollendal et grâce à l’insubordination de ses officiers, succomba la fortune de la France. Puis il m’expédia, avec des gens de confiance, chez le R. P. Segmüller. Un géant, celui-là, qui évangélisait parmi les marécages. Pour accéder jusqu’à la mission de Velanlaguel, je dus traverser des routes changées en rivière. Je poussai à la roue. La nuit était noire. Les bœufs perdirent