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grande part ; mais, hélas ! quelle part tragique ! L’influence du temps écoulé, l’esprit politique qui impose à la raison le fait accompli, l’esprit religieux qui y résigne la volonté ont sans doute disposé son âme à subit l’étrange jubilé de Schœnbrunn, et il y a fait très affable figure ; mais quelles ombres douloureuses ont dû se lever dans son esprit ! Le roi d’Italie a envoyé, dit-on, un télégramme de félicitations : il s’est abstenu toutefois de se rendre à Schœnbrunn. C’est dommage ; la philosophie de l’événement aurait été plus complète s’il y était allé ; on aurait vu côte à côte, faisant fête à François-Joseph, celui qui lui a enlevé la Lombardie et la Vénétie, et celui qui lui a pris la couronne de l’Empire. Mais on a voulu conservera la démonstration un caractère strictement allemand. L’empereur Guillaume est admirable dans les rôles de ce genre ; il a une réelle habileté de mise en scène et le sens de la grandeur ; il le montre dans ses gestes comme dans sa parole. On aurait aimé à le voir conduisant avec lui tant de hauts et jadis puissans personnages. Le langage qu’il a tenu a eu de la gravité et de l’émotion.

Quant à l’empereur François-Joseph, il a remercié avec une effusion suffisante, et il a fait du principe monarchique un éloge qui, assurément, était à sa place dans sa bouche. Il est tout naturel qu’un empereur soit monarchiste, et au surplus, si la monarchie a sa raison d’être, c’est en Autriche-Hongrie plus encore que partout ailleurs, car elle est le seul lien qui ait pu réunir et qui puisse encore retenir tant de nationalités diverses, quelquefois même opposées. Il est difficile de concevoir l’Autriche sous une autre forme politique que celle-là ; en dehors de la monarchie, elle s’émietterait inévitablement et s’éparpillerait en parcelles divergentes. On sait quelles rivalités existent entre les nationalités qui la composent, et, si on ne l’avait pas su, la manière différente dont le jubilé de Schœnbrunn a été apprécié par les journaux allemands et par les journaux, tchèques ou hongrois aurait suffi à en apporter la révélation. Les premiers ont été naturellement enchantés d’une manifestation germanique aussi éclatante, bien qu’elle consacrât précisément la mise de l’Autriche hors de l’Allemagne ; mais les autres en ont éprouvé un sentiment différent, dans la crainte que cette même manifestation, en rappelant aux élémens allemands de la monarchie l’hégémonie qu’ils ont eue autrefois et qu’ils regrettent, ne réveillât leurs prétentions et ne les rendit dangereuses. Tout cela d’ailleurs est assez vain. Il ne survivra bientôt de cette manifestation qu’un souvenir qui n’aura aucune influence sur le cours ultérieur des choses. Mais l’empereur