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Pour mieux apprécier la grande tâche entreprise, nous rappellerons qu’il n’y avait au Japon ni bibliothèque, ni librairie pour les livres étrangers ; son institution possédait une seule grammaire anglaise, — les maîtres et les élèves s’en servaient à tour de rôle et en faisaient des copies pendant la leçon. Comme ni le maître ni l’élève ne comprenait la langue anglaise, le travail était très lent, , — un vrai déchiffrage d’hiéroglyphes.

Ce trait seul, vraiment typique, fera comprendre les difficultés rencontrées par les précurseurs du système moderne. Quels que fussent les défauts de la méthode et de l’école du professeur Fukuzawa, celle-ci a véritablement introduit au Japon les premières notions européennes en enseignant les langues étrangères quand le pays était encore hostile à toute relation avec l’extérieur et que les ports étaient fermés aux étrangers.

Dans la cinquième année d’Anséi, Fukuzawa ouvrit son école, mais n’osa pas lui donner un nom, dans la crainte d’attirer l’attention publique sur une maison où l’on apprenait une langue d’Occident. Il était jeune alors, ayant à peine trente ans, mais il possédait déjà ce puissant charme d’attraction qui l’aida à réussir. Il réunit chez lui quelques jeunes gens avec qui il lisait des livres hollandais. Quelques années après, le Japon décida d’ouvrir quelques ports aux étrangers, et Fukuzawa, avec son habituelle perspicacité, comprit la supériorité de la langue anglaise comme moyen d’arriver à connaître les sciences de l’Occident : il l’enseigna à la place du hollandais. En l’année 1868, une école convenable fut construite et elle reçut le nom de Keio-Gijiku. Le nombre de ses élèves s’était accru, mais il diminua jusqu’au chiffre de dix-huit pendant les troubles de la Restauration. Fukuzawa ne se découragea pas et n’arrêta pas ses leçons un seul jour. « Car, disait-il, nous instruisons le Japon, et ce glorieux travail ne doit jamais chômer. » C’était au temps où le palais du prince Shi-Madza fut incendié, et de la bataille de Nevo. Les habitans étaient frappés de terreur et la cité présentait l’aspect de la désolation et de l’abandon, mais l’école Keio-Gijiku continua régulièrement ses cours.

Quand la capitale fut transférée de Kyôtô à Tôkyô, une ère nouvelle de progrès et de lumière s’ouvrit et, à mesure que le pouvoir nouveau s’établissait plus solidement, le pays voyait s’augmenter le besoin d’hommes nouveaux imbus de connaissances et d’idées modernes. Fukuzawa et ses disciples étaient là