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l’Agathe qu’elle a préféré, quoique moins beau, à celui qu’on lui avait envoyé de Palerme. La nourrice et la petite fille ont été laissées en arrière pour un autre canot.

« Ainsi s’est opérée la remise de l’illustre aventurière. C’était d’un mesquin, d’un abandon vraiment attristans. Il n’y avait autour d’elle que des hommes de la dernière classe de Palerme... »

Là-dessus Bugeaud annonce au ministre qu’il a profité du retour de l’Actéon pour regagner Toulon. Puis, après avoir une dernière fois brocardé Lucchesi et la Sicile, il entonne son Nunc dimittis sur le mode de Joseph Prudhomme.

« La vue de ce pays (la Sicile) est bien faite pour nous faire aimer notre France, pour nous faire bénir les réformes opérées par la Révolution, et chérir la monarchie constitutionnelle. Je suis heureux d’avoir aperçu le tableau des misères que traîne à sa suite le despotisme. Les exagérations de la liberté m’avaient un peu refroidi ; la vue d’un peuple esclave rajeunit mon amour pour la liberté !... »

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La Duchesse qui, le 5 juillet 1833, vient de débarquer à Palerme, a trente-quatre ans. C’est une jolie laide, avec l’air encore d’une petite fille éveillée. Ses cheveux sont blonds ; sa taille est frêle, son regard incertain. On ne lui trouve pas grand air... elle ne cherche pas à l’avoir, mais elle est charmante. Lestement, franchement, gentiment elle va, vient, parle à chacun. « Les vénérables de Prague, » comme disait Chateaubriand, eussent été bien étonnés de retrouver ainsi la petite échappée « des flammes et de la geôle. »

Elle a pris, en abordant le quai, le bras du comte Lucchesi[1] ; elle est montée avec lui dans une voiture qui l’attend. Elle va au Palais où son frère, le comte de Syracuse, la reçoit en grande cérémonie ; puis, bien vite, comme une amoureuse, elle se réfugie à Abbevazza, à un mille de Palerme, où on a loué pour elle une maison de campagne proche de celle qu’habite la duchesse de Monteleone, sœur de son mari.

  1. Le comte Lucchesi avait alors vingt-sept ans. Il était grand, brun, de tournure un peu anglaise et portant la barbe en collier. Il était d’un caractère aimable, ouvert, avait de l’esprit et de la gaieté. Il était généreux, désintéressé, quoique fort mal payé par son gouvernement et sans fortune personnelle. (Marquis d’Eyragues, Mémoires pour mes fils.)