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A la voir ainsi, on la pourrait croire sans autre ambition que d’achever sa vie dans ce pays de son enfance. Non ! Jamais, au contraire, sa petite tête à l’évent n’a roulé de plus vastes projets.

Marie-Caroline est convaincue qu’elle sort de Blaye avec tout son prestige ; elle croit que son mariage, que ses couches ne l’ont point amoindrie ; qu’elle va pouvoir « régenter » du haut de ce piédestal que lui ont valu son courage, sa constance, voire sa prison. L’abdication de Charles X, celle du Dauphin ne lui laissent-elles pas l’exclusive direction du parti légitimiste ? A elle, à elle seule, il appartient de défendre la couronne de son fils. Il faut qu’elle aille à Prague, car la majorité de son fils est prochaine.

Charles X ne veut pas la recevoir ; qu’importe ? Il n’est plus Roi !

Qu’importent les mauvaises dispositions de Vienne, les intrigues de Paris ? Qu’importent les querelles qui divisent le parti royaliste ? Elle ira à Prague...

Il y a deux ans qu’elle n’a embrassé celui qui sera Roi demain. Mais elle compte, hélas ! sans ce berceau qui lui sera un obstacle plus infranchissable que le loyalisme du duc de Blacas, que les intrigues de M. Thiers, que le mauvais vouloir du prince de Metternich.


IV

Il n’est guère de page plus poignante que cette page où Chateaubriand peint l’existence des rois en exil : « Leurs jours ne sont qu’un tissu de réalités et de fictions. Demeurés souverains à leur foyer, parmi leurs gens et leurs souvenirs, ils n’ont pas plutôt franchi le seuil de leur maison qu’ils trouvent l’ironique vérité à leur porte. Ils ont le double inconvénient de la vie de cour et de la vie privée : les flatteurs, les favoris, les intrigues, les ambitions de l’une, les affronts, les détresses, les commérages de l’autre. C’est une mascarade continue de valets, de ministres changeant d’habits. L’humeur s’aigrit de cette situation ; les espérances s’affaiblissent ; les regrets s’augmentent ; on rappelle le passé. On récrimine. On devient vulgaire par la souffrance vulgaire. Les souffrances d’un trône perdu dégénèrent en tracasseries de ménage. »