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équivoque à laquelle il avait accordé le laissez-passer. Les observations du Tsar, de la reine Victoria accrurent ces scrupules et ces inquiétudes et, obéissant à ces divers mobiles, il résolut de faire ce qui serait en lui pour écarter cette candidature dont il voyait clairement les inévitables menaces.

Dans une lettre du 7 à sa femme, il nous approuve d’avoir refusé une interpellation et il explique son point de vue : il considérait la candidature comme purement espagnole ; l’honneur de la France n’était pas intéressé ; et il supputait les chances de l’élection aux Cortès : « Les Français dépenseront beaucoup de millions pour acheter des voix, nous ne dépenserons pas un thaler ; mais leurs violens articles ont irrité l’opinion publique, ce qui aura pour effet de rendre le vote plus favorable au Hohenzollern. » Et cette perspective est loin de l’enchanter : « Entre nous soit dit, je verrais volontiers que Léopold ne soit pas élu. » D’un mot, il pouvait empêcher cette élection. Il lui suffisait de faire savoir au prince que, vu les circonstances, il ferait sagement de se désister ; il eût été immédiatement obéi. Mais ce parti résolu répugnait à sa fierté, l’aurait compromis aux yeux de l’Allemagne, de l’Espagne, de sa propre famille et exaspéré Bismarck. Il essaya d’obtenir des princes de Hohenzollern qu’ils le tirassent d’embarras en prenant la responsabilité d’une renonciation. Il le leur insinua, leur fit envisager la gravité des circonstances, les engagea à bien réfléchir aux inconvéniens de l’obstination, et sans leur dire : Retirez-vous, il les assura que, s’ils s’y décidaient, ce serait avec plaisir qu’il donnerait à leur renonciation le consentement naguère accordé à l’acceptation. Mais pour les princes de Hohenzollern aussi les considérations de dignité se compliquaient d’une question d’honneur. En acceptant la candidature, ils s’étaient rendus félons envers l’empereur Napoléon, en la retirant ils le deviendraient vis-à-vis de Prim et de Bismarck avec lesquels ils s’étaient engagés. Ils esquivèrent la nécessité de répondre au Roi en paraissant ne pas comprendre son insinuation. Mais le Roi ne leur permit pas cette ambiguïté et il les pressa de s’expliquer.

Il attendait leur réponse lorsque arriva Benedetti le 8 juillet à onze heures du soir. Aussitôt il demande une audience. Le Roi la lui accorde pour le lendemain à trois heures, lui faisant savoir qu’il le retiendrait à dîner, et s’excusant avec bonne grâce, sur les soins de sa santé et sur l’arrivée attendue