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Londres comme à la galerie Glaenzer de New-York, on a récemment vu toute une série de Nocturnes peints par M. Edward J. Steichen au Lake George, on connaîtra que jamais les peintres de la nuit ou les chevaliers de la lune ne furent aussi nombreux, aussi attentifs, ni aussi fervens.

Cette recherche est nouvelle, et son objet lui-même est nouveau. Non que la nuit ait été, jusqu’ici, dénuée de toute beauté pittoresque, ni que les peintres aient attendu ce XXe siècle pour s’en apercevoir. Il a suffi que le fondateur de leur religion fût né pendant la nuit, pour que les Primitifs se soient inquiétés de rendre les diverses manières d’illuminer l’ombre. Les érudits qui feuillettent le bréviaire Grimani, à la bibliothèque Marciana, en rencontrent, sous leurs doigts, de curieux exemples. Plus tard, mais dès la première moitié du XVIe siècle, Barthélémy de Bruyn s’éclaire à la fois aux chandelles des donateurs, et au foyer divin émané de l’Enfant-Jésus. Enfin, les Clairs de lune de Rubens et de Van der Neer sont célèbres. Si, donc, l’on s’en tenait au vocabulaire de l’histoire de l’Art, on pourrait dire : « Rien de nouveau sous la Lune. » Mais on se tromperait tout à fait. Depuis quelques années, la lune éclaire des nuits toutes nouvelles, parées de parures que nos pères n’avaient pas connues ni soupçonnées, et aussi bien, les apparences éternelles de la nuit, celles qu’ont chantées les poètes antiques, ne furent jamais tendrement aimées ni subtilement rendues avant notre temps. La nuit est donc bien, — au même titre que le cheval et que l’eau en mouvement, — une découverte de l’art moderne.


I

En effet, ce que les anciens cherchèrent d’abord à rendre, sous ce nom, ce n’était pas la nuit, mais l’obscurité. Ce n’était pas l’ambiance des pâles clartés lunaires ou stellaires, ni la palpitation de leurs reflets, mais celles de la chandelle. Ils se mettaient dans une cave, fût-ce en plein jour, tiraient un coup de pistolet ou flambaient une torche et peignaient ce qu’ils avaient vu. Ou bien, s’ils se mettaient en plein air, ils ne manquaient pas d’allumer « un grand feu, » comme le leur recommande Léonard de Vinci dans son chapitre : « Comment on doit peindre la nuit, » afin que les figures fussent « d’une teinte demi-rouge, demi-noire. » Tout cela produisait des effets surprenans de