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anglais. Il ne répondit pas. Les deux heures de la première pose passèrent ainsi et la duchesse de Cumberland ne sut jamais si elle avait ou n’avait point dit quelque sottise.

Le plus extraordinaire exemple de dissimulation ne serait toutefois pas donné par ces deux Altesses Royales, s’il faut en croire les chroniques du XVIIIe siècle, mais par le plus petit masque de ce salon : cette enfant que vous voyez ébauchée à côté de la tête de sa mère, sur une toile à peine frottée par Reynolds, dans le tableau intitulé : Giorgiana comtesse Spencer et sa fille, Giorgiana, plus tard duchesse de Devonshire (n° 40). Vous saisissez là, sur le fait, le procédé de Reynolds pour préparer la toile et poser la couleur. Cette facture diffère tellement de celle adoptée alors en Italie et en France qu’il faut nous y arrêter. Le poète Mason, qui le vit, à cette époque, travailler dans le secret de l’atelier, la décrit ainsi : « Sur une toile recouverte d’une couleur claire, Reynolds avait déjà posé une couche de blanc qui était encore fraîche quand il s’occupa de placer la tête. Il n’avait autre chose sur sa palette que du blanc, de la laque et du noir et, sans avoir fait aucune esquisse préparatoire, ni aucun dessin, il commença avec beaucoup de rapidité, à combiner ses couleurs jusqu’à ce qu’il eût produit, en moins d’une heure, une ressemblance suffisamment intelligible quoiqu’en même temps, comme on pouvait s’y attendre, froide et pâle au dernier degré. A la seconde séance, il ajouta, je crois, aux trois autres couleurs, un peu de jaune de Naples ; mais je ne me rappelle pas qu’il ait employé aucun vermillon, ni alors, ni à la troisième séance. La laque seule produisit le rouge. » Voilà le signalement même de ce portrait, bien que ce fût écrit à propos de celui de lord Holderness. Ce petit masque fond, éveillé, auprès de la tête pensive et fine de sa mère, n’a guère autre chose que des yeux : ces yeux dont un paysan irlandais dira, vingt ans plus tard : « Ils ont tant de feu que je pourrais y allumer ma pipe ! » Ce sont les yeux pour lesquels Peter Pindar écrira sa fameuse pétition au Temps, sans que, hélas ! le temps se laisse fléchir… Quand Mme Vigée-Lebrun lui sera présentée, en 1802, et lorsque cette petite chose enfantine que nous voyons ici, à peine esquissée par la vie, sera devenue un tableau de maître universellement admiré, quelque chose de modelé par l’expérience, d’ombré par les inquiétudes, de coloré par la passion, de verni par les usages et le monde, voici ce