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que la peintresse française en dira : « La femme de Londres la plus à la mode à cette époque était la duchesse de Devonshire. Elle pouvait avoir quarante-cinq ans. Ses traits étaient fort réguliers, mais je ne fus pas frappée de sa beauté. Elle avait le teint trop animé, et son malheur voulait qu’elle eût un œil dont elle ne voyait plus. Comme, à cette époque, on portait les cheveux sur le front, elle cachait cet œil sous une masse de boucles, ce qui ne parvenait pas à dissimuler une défectuosité aussi grave… »

Tel que nous le voyons, ce petit masque couvrira l’âme ardente de la plus grande des grandes dames d’Angleterre, et, en même temps le cœur le meilleur, l’esprit le plus cultivé, et la destinée la plus brillante. Celle qu’on appela « la jeune, belle et fantasque Devon, déchaînée comme une comète au milieu du ciel, » réalise, au XVIIIe siècle, tous les idéals du féminisme actuel. Mariée à dix-sept ans, en 1774, au parti le plus recherché d’Angleterre, William Cavendish, cinquième duc de Devonshire, elle règne sur la mode qui met en fuite les « paniers » et inaugure les coiffures à plumes ; elle règne sur la littérature, poète elle-même, passionnée d’éloquence, se battant pour avoir la place la plus proche de la chaire quand parle le docteur Johnson ; elle règne sur la politique, entraînant dans la lutte pour Fox, en 1783, toute une cohorte de grandes dames et triomphant avec deux cent trente-six voix de majorité qu’elle a dérobées en se jetant au cou des bouchers de Westminster :


Armée de sa beauté sans rivale, la belle du Devon
En faveur de Fox prend parti avec zèle,
Mais oh ! partout où passe la friponne, gare !
Elle demande un vote et elle vole un cœur.


Elle règne enfin sur sa famille, enfant sur sa mère, mère sur ses enfans. C’est cette reine-là que Reynolds a peinte. Il l’a peinte à tous les âges, étant déjà l’ami des Spencer, continuant à l’être, des Devonshire. Nous voyons, ici, le premier sans doute de ces portraits, et c’est Giorgiana, avec sa mère : le dernier, qui est à Chatsworth, également la propriété du duc de Devonshire, nous montre Giorgiana, devenue mère et tenant sa fille, la petite Giorgiana Cavendish, sur ses genoux. Ce dernier groupe, popularisé par la gravure, est peut-être le plus ravissant qu’un tel sujet ait jamais inspiré. La mère, tournée de profil, vers son enfant, vu