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au cours d’une campagne stratégique qui peut s’étendre à des milliers de kilomètres ! Mais voici plus grave encore : ces trop rares projectiles ne comptent même pas, pour la plupart, au point de vue des effets destructeurs. Les uns, obus en fonte, sont pourtant dangereux, mais non pour l’ennemi, pour nos hommes qui les tirent. Quant aux autres, obus de rupture, leur charge interne d’explosif suffirait tout juste à chasser le bouchon du culot. Or ce sont là les deux seules munitions dont disposent à l’heure actuelle les gros canons de nos principaux cuirassés ! Leurs obus de semi-rupture, encore à faire, depuis plusieurs années n’attendent que les crédits !

Faut-il parler des tourelles, mal ajustées à la mesure des canons, mal adaptées à leur service ? Notre matériel embarqué présente ce caractère de ne paraître conçu ni pour son cadre, ni pour son usage. La simplicité, source d’économie, d’aisance, de sécurité, lui fait défaut. Réalisant la solution compliquée, ingénieuse, théorique, fragile, il semble créé pour l’art, non pour une fin militaire. Il est naturel qu’alors on sacrifie à l’engouement du jour en faveur de telle réussite, de telle qualité souveraine en théorie. L’invisibilité du torpilleur, la facilité d’embarquement du sous-marin, la vitesse du croiseur ont été des dogmes : cette survitesse inutilisable et précaire, qui dévore la puissance de l’artillerie, réduit les soutes, diminue la protection...

Que de causes d’inefficacité pour nos escadres ! La pire de toutes serait une insuffisance d’entraînement. Or, nos forces navales étant les fiefs du commerce urbain, à chaque absence il crie. En tout cas, du jour de la paye au quatre ou cinq du mois suivant, elles appartiennent au port titulaire : c’est la trêve des cabaretiers. Ensuite, on ne demande en haut lieu qu’à économiser le charbon en restreignant les sorties. Seule la hantise du but final rappellerait qu’une flotte ne se forme qu’à la mer. Bien souvent, pour abréger, les amiraux ont dû laisser faire les tirs à la « va-vite ! » Il suffisait vraiment au ministère que les feuilles officielles fussent remplies, les allocations consommées. On rognait d’ailleurs d’année en année sur une dépense « accessoire, » destinée à s’évaporer dans l’air en fumée de charbon et de poudre, à s’ensevelir dans l’eau sous forme de projectiles perdus. Après tout, en dépit des esprits chagrins, les choses en allaient-elles plus mal ?

Les accidens. — Elles allaient, en effet tant bien que mal,