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appuyés par les amiraux de l’escadre, l’avaient vainement prédite, et vainement avaient réclamé d’urgence les plus indispensables mesures de préservation.

Les grands corps techniques occupés à l’élaboration matérielle de la flotte : Génie maritime, Artillerie, forts de leur haute culture scientifique et industrielle, se laissèrent parfois aller d’autre part à une indépendance d’action préjudiciable au rendement militaire de la marine. On négligeait, à vrai dire, de les fixer par une doctrine explicite, tandis que leur éducation trop abstraite les inclinait à faire de la science plus que de la pratique, à chercher la perfection, non la commodité immédiate. De là ce perpétuel essai de types nouveaux, cette poursuite de la poudre idéale, du canon à vitesses initiales extrêmes, ces complications de mécanismes savans, mais fragiles, ingénieux, mais inefficaces. Le commandant Davin rappelait ici le système de noyage des soutes installé sur le Saint-Louis, très complet, mais n’opérant qu’en trente-deux minutes. Les vices de ce genre n’apparaissent pas toujours sur le papier de l’ingénieur ; ils se découvrent au regard du service utilisateur. C’est pourquoi celui-ci doit imposer les idées directrices, et juger les résultats. On ne semblait pas s’en douter. Les marins reçoivent du ministère de la Guerre leur poudre toute faite sans pouvoir la discuter. Dans la marine même, le seul lien entre constructeurs et utilisateurs de l’artillerie est la Commission de Gavres, où, sur dix-sept membres titulaires, figurent onze artilleurs et un ingénieur contre cinq marins.

L’absence d’une pensée militaire, et de cette hantise des conséquences naturelle aux services d’action, explique les gaspillages de temps, d’intelligence et d’argent. Liaison des organes, proportion et efficacité des efforts, tout ce qui fait ici défaut aurait dû naître spontanément autour d’un principe d’unité.


IV. — LES RÉFORMES

On attend une réforme, et nous distinguons déjà quel en pourrait être le sens. La nécessité même de réformer ne fait plus doute. Parmi les solutions proposées, nous sommes aptes à juger dès maintenant celles qui n’apporteraient que des remèdes partiels à des maux dont nous avons vu l’étroite dépendance. La marine languit d’une maladie générale ; ce n’est pas en traitant isolement un ou plusieurs symptômes locaux qu’on la guérira.