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et ne demandait pas mieux que de s’acquitter envers lui. Seulement, il aurait mieux aimé s’acquitter d’une autre façon. Chaque fois qu’il prenait la plume pour essayer d’écrire la préface demandée, il était assailli de scrupules. Certes il admirait autant que personne le merveilleux talent de l’avocat, les ressources infinies que déployait Chaix d’Est-Ange dans la discussion et les grands mouvemens d’éloquence par lesquels il entraînait le public. Mais ces effets produits méritaient-ils de survivre à l’audience ? Qu’en resterait-il sur le papier ? Comment faire l’éloge d’une langue véhémente, passionnée, mais par instans aussi incorrecte que passionnée ? L’écrivain délicat qui était en lui protestait contre les imperfections de l’art oratoire. Il craignait de manquer à sa conscience en admirant trop, ou de manquer à son bienfaiteur en n’admirant pas assez. Son succès d’Alger l’ayant un peu remonté, il prit son courage à deux mains et, après l’enfantement le plus laborieux, il réussit à mettre sur pied quelques pages qui plurent au patron et au barreau sans lui déplaire à lui-même. Il avait fini par mettre d’accord ses scrupules et sa reconnaissance.

La lutte permanente pour l’existence, pour le pain quotidien, n’avait pas été sans ébranler la frêle santé d’Edmond Rousse. L’année 1834 lui fut particulièrement cruelle. Les médecins effrayés de son agitation nerveuse et de l’usure de ses forces lui prescrivirent un repos d’esprit absolu en l’engageant à se mettre au vert. Il eut la bonne fortune de partir pour les Pyrénées en compagnie du frère de Vesseron. Il en revint enchanté du bain de verdure qu’il avait pris et à peu près rétabli. Les lettres délicieuses qu’il écrit alors respirent la bonne humeur, la bonne grâce, la joie de vivre, le contentement de soi qui manque si souvent à sa correspondance parisienne. Saint-Sauveur, Luz, Gavarnie, dont il parle avec enthousiasme, resteront dans sa mémoire comme des lieux consacrés. Leur souvenir s’associera à la joie de l’amitié satisfaite et de la santé reconquise. Et puis, cette excursion lointaine, les distractions du voyage, la vue des grands horizons lui ont permis de se détacher de lui-même, d’échapper à la hantise des idées fixes et douloureuses. « Vive, pour les cœurs meurtris, la Nature vraie, la mère Nature qui vous emporte dans ses rochers, dans ses forêts ; qui vous berce au bruit du vent et de la mer comme un enfant malade ; qui, à force de nouveautés et de splendeurs, vous empêche de penser et de