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les autres, mais par apport de sang vicié dans la vallée.

Les deux sexes cheminent pêle-mêle, et s’installent en classe sur deux files de bancs séparés. Pas d’institutrice, mais un instituteur qui doit avoir fort à faire pour gouverner sa centaine d’écoliers et de gamines. Il gagne deux cents francs, que lui octroie M. Guizot ; ce serait maigre, si chaque élève ne lui rapportait 1 fr. 50 par mois, rétribution modeste, mais que bien peu d’indigens se refusent à payer. Il est vrai que le pays ne compte guère de misérables et que l’instruction est très prisée par le Bas-Alpin, lequel, facilement disposé à émigrer, en comprend la nécessité ; d’ailleurs il ne voit que l’alphabet et l’écriture pour tromper l’ennui des maussades soirées d’hiver[1]. La classe finie, les pelotons mixtes se dispersent chacun vers le hameau familial, et il est nuit noire quand les enfans pénètrent dans la cuisine de leurs logis respectifs. Le feu, alimenté par un bois qui ne coûte rien ou presque rien au paysan, pétille joyeusement et éclaire la pièce ; mais si le père de famille est économe, on ne distingue ni chandelle ni lampe, car c’est trop cher. Quelquefois un bâton de bois résineux en remplit l’office. Souper frugal : peu d’huile dans la salade, peu de graisse dans la soupe, les plus avares suppléent même à cet ingrédient avec quelques noix écrasées. Tout en grignotant un pain suffisamment dur pour ne pas trop exciter l’appétit, on raconte que telle ménagère connue pour sa ladrerie a été emprunter le morceau de lard de la marmite de sa voisine et l’a introduit quelques instans dans son pot pour le restituer ensuite à sa propriétaire. Le repas comporte une forte ration de noix ou d’amandes sèches, et aussi d’excellens fromages.

Par exemple, le vin n’est pas rare, car les vignobles abondent et fournissent presque sans dépense un bon produit. Comme il est assez cher à transporter, on peut en boire sur place sans débourser beaucoup : un franc la « coupe » au décuvage, deux

  1. En 1866, c’est-à-dire peu de temps après la période étudiée, le département sur 387 conscrits, ne fournissait pas un illettré à l’armée. Pour Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, la proportion était du cinquième, et dans l’Allier, au cœur de la France, de juste la moitié.
    Nous avons compilé les renseignemens officiels relatifs au paupérisme dans les Basses-Alpes pour l’année 1847, Moyenne d’ensemble des secourus 2,48 pour 100 trois fois moindre qu’à Paris à la même date, moindre encore que le coefficient parisien pour 1903. Pas d’indigens au milieu du siècle dernier dans plusieurs communes, la plupart de la vallée de Barcelonnette ; quelques-uns sur les 700 habitans de la T... de B...