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francs à Pâques. Il est vrai que la « coupe, » qui a dû servir à Gargantua contient 19 litres. Aussi, lorsque les montagnards de la haute vallée où la vigne ne prospère point descendent vers Sisteron et qu’ils ont un peu d’argent en poche, ils se gorgent de boisson. A quatre, ils sécheraient un hectolitre en trois jours.

Le froment, à cette période, est la culture du pays. De fait, soit qu’on y dépense, de l’aube à la nuit tombée, beaucoup d’« huile de bras, » soit qu’on n’y ménage guère le fumier, le blé rend assez et permet d’utiliser avec profit des terres bien ingrates. Chaque propriétaire, gros ou petit, entretient un troupeau de brebis avec quelques chèvres pour le lait ; on laboure avec des « araires « traînés par des bœufs sous le joug ; les mulets et les ânes portent des fardeaux qu’on amarre avec des cordes. On cite un fermier qui, dirigeant un domaine important à B..., possède une charrette ; sans ce véhicule, les gens du pays ignoreraient presque ce qu’est une roue. On voit actuellement circuler plus d’automobiles dans la vallée qu’on n’y rencontrait de tombereaux il y a soixante ans !

Pour qu’un valet de ferme arrivât à gagner 150 francs par an dans une exploitation agricole, il fallait qu’il fût alors « un bon homme. » Préférait-il se louer à la journée, il recevait 1 fr. 25 centimes. Une femme n’obtenait que 60 centimes et même que 40 si elle était nourrie.

Encore nos jeunes gens trouvaient le moyen de réaliser des économies, car il fallait, à moins de risquer la chance d’un numéro élevé, ou de faire valoir une infirmité quelquefois savamment entretenue et perfectionnée, mettre à la masse pour avoir un remplaçant tout prêt pour le service militaire. C’était cinq cents francs à accumuler. Vers cette époque, en 1853 pour fixer les idées, le canton fournissait environ 50 jeunes gens, et il n’en partit que 12, dont un seul de la commune de B... Du reste sobres, débrouillards, assez lettrés, intelligens malgré leur physionomie rustaude, nos Bas-Alpins faisaient toujours d’excellens soldats et souvent de bons sous-officiers.

Il ne faudrait pas s’imaginer que notre terroir fût, alors, isolé du reste du monde. Au moins une fois par semaine, des muletiers desservaient la vallée pour transporter des marchandises sur Marseille ou Grenoble. La petite caravane se composait de quatre à cinq mulets de bat cheminant à la file et précédés